Seuls les anges ont des ailes

samedi 10 mars 2018, 17h30

17h30 19h35 (121 min)

Seuls les anges ont des ailes Only Angels Have Wings
Howard Hawks
États-Unis / 1938 / 121 min / DCP / VOSTF

Avec Cary Grant, Jean Arthur, Rita Hayworth.

Les pilotes d'une modeste flotte aéropostale d'Amérique du Sud ont l'habitude de se retrouver au bar de l'aérodrome. Un soir, une musicienne en escale s'invite au comptoir, et s'éprend bientôt de l'ombrageux directeur de la compagnie.

« Un accident, ce n'est rien : Il y a le moment d'avant, où l'avion quitte la piste, où certaine qualité de silence autour de lui, certaine attente de la lumière autour de lui, le dérobent au mouvement – et le moment d'après, où l'avion n'est plus qu'une fléchette piquée dans la terre, une sauterelle grillée, une noix. Entre les deux, rien ». (Chris Marker, Le Cœur net)


C’est un plan au début du film. Jean Arthur au piano, Cary Grant à ses côtés. Quelques musiciens dans le champ, ainsi que deux ou trois clients du bar local. Jean Arthur se lance. Le cadre se remplit peu à peu. À la fin de la séquence, ce sont plus de vingt personnes qui se sont agglutinées un shot à la main, autour du piano d’Arthur et Grant. Un moment de grâce, suspendu, quelques minutes de félicité et de fraternité dérobées à la mort. Plus tôt dans la soirée, leur ami, Joe Souther, s’est écrasé en avion alors qu’il effectuait sa mission, ce pour quoi il était payé : convoyer le courrier postal au-dessus de la Cordillère des Andes, coûte que coûte et quelles que soient les conditions météorologiques. C’est un simple plan. Mais au-delà de sa beauté (magnifique photographie de Joseph Walker), c’est un plan qui dit tout du film, célébration émue de l’héroïsme, de la vie, et de la camaraderie, seul vrai remède à la tragédie.
Jamais d’apitoiement chez Hawks, pas plus de pleurnichards : « L’homme ne peut décemment pas se lamenter dans son coin à chaque coup du sort, sinon il y passerait son temps » dira un jour le cinéaste, dans un entretien avec Peter Bogdanovich. Les héros de Hawks regardent les hommes tomber sans ciller, puis s’y remettent. Pas le temps de finasser. Il y a toujours mieux à faire, un travail à finir, des amis à conforter, un coup de poing à lâcher à l’occasion, des filles à qui offrir un verre de whisky.
Le stoïcisme hawksien est une fête, un carburant qui donne à ses films un swing que seuls des acteurs du génie de Cary Grant, Jean Arthur ou Rita Hayworth pouvaient suivre. Ici au sommet de leur art, ils portent haut le verbe ironique de Jules Furthman (Le Banni, Le Port de l’angoisse, Rio Bravo), se chamaillent, s’aiment, narguent les cieux et font la nique en riant à la Grande Faucheuse. Chef-d’œuvre.

Xavier Jamet