Photographie de tournage de « The Exquisite Sinner » (Josef von Sternberg, Phil Rosen, 1925)

9 septembre 2016

1925. Josef von Sternberg tourne The Exquisite Sinner avec Renée Adorée et Conrad Nagel, réunis pour la seconde fois à l'écran. C'est sa deuxième expérience de mise en scène après The Salvation Hunters. Approché par différents studios, le jeune cinéaste vient de signer un contrat avec la Metro-Goldwyn-Mayer, tout juste fondée en 1924 et déjà un des plus importants studios de production.

Cette photographie fait la promotion du film en préparation, accompagnée d'une légende succincte collée au dos du tirage à l'attention de la presse américaine. À l'époque du cliché, le film est encore nommé sous son titre de travail Escape, le nom du roman dont il est adapté. Sternberg y apparaît songeur, une canne à la main, à côté de Paulette Duval, Ziegfeld girl arrivée à Hollywood en 1922, qui interprète un second rôle féminin et attend dans la voiture en costume de bain et fourrure. À l'extrême gauche, le futur réalisateur Robert Florey, alors assistant à la mise en scène, est présenté comme le « French technical director ». À sa droite, le directeur de la photographie Max Fabian et, assis sur le marchepied de la voiture, Nick Grinde, assistant non crédité qui allait aussi se lancer dans la réalisation de séries B quelques années plus tard. Le cinéma n'est pas encore parlant et des « musiciens de plateau » jouent en permanence pendant les prises de vues pour donner l'ambiance de la scène. Ici, le tournage se fait au son de l'harmonium et du violon.

« Dès qu'il fut engagé chez MGM, le premier soin de Von Sternberg fut de s'acheter une voiture et une casquette neuve. Chaque matin nous allions ensemble au studio. À peine arrivés, il s'enfermait dans son bureau, couvrait ses épaules d'un châle rouge, et jouait aux échecs. Un jour, il nous déclara que ses assistants ne devaient jamais interrompre ses méditations. Il portait des chemises noires, un vieux pardessus à col de fourrure et laissait pousser sa moustache » se souvient Robert Florey dans Hollywood d'hier et d'aujourd'hui. Il rapporte aussi comment le cinéaste fit grosse impression dès le premier jour du tournage : découvrant qu'il manquait un bouton sur le costume d'un figurant, « rageusement il commença à taper sur la caméra avec sa canne, au grand ébahissement de Fabian ». « Pendant des semaines, nous travaillâmes avec acharnement, passant d'un décor à l'autre, mais ne voyant jamais les bouts que notre metteur en scène voulait être seul à regarder. En 1925, quand les dirigeants d'un studio se trouvaient en présence d'un navet, ils n'hésitaient pas à le reléguer sur l'étagère. Ce fut le cas pour notre film. Et pourtant, je trouvais Escape plein d'intérêt, les prises de vues étaient originales, la mise en scène était remplie d'humour, et Sternberg affirmait déjà sa maîtrise. Le scénario confus n'était pas d'un très grand intérêt, mais le film fut pour moi une excellente leçon de photographie ; les ombres, les lumières, les scènes de silhouettes et les éclairages en général différaient de tout ce que j'avais vu à l'écran jusqu'à ce jour. » Les mésaventures de Sternberg à Hollywood ne faisaient que commencer.

Et différentes versions circulent sur l'achèvement de ce film aujourd'hui perdu, dont on ignore quelles images signées Sternberg ont été conservées au montage final. Insatisfait, Louis B. Mayer aurait fini par congédier Sternberg, alors que la moitié du film était dans la boîte, chargeant Phil Rosen – réalisateur et directeur de la photographie expérimenté – de le terminer, et proposant néanmoins à Sternberg un nouveau projet (The Masked Bride, que le cinéaste finira lui-même par abandonner déplorant le manque de liberté). Rosen aurait transformé si radicalement le film, retournant aussi certaines scènes, que la MGM aurait finalement choisi d'en tirer deux films différents – celui de Rosen sous le titre Heaven on Earth. D'après d'autres sources, les responsables du studio auraient d'emblée décidé de faire retourner entièrement The Exquisite Sinner par Rosen pendant que Sternberg réalisait son nouveau film pour la compagnie. Robert Florey brouille encore un peu les pistes dans Hollywood d'hier et d'aujourd'hui : « Pendant que les patrons se demandaient ce qu'ils allaient faire avec Escape, Sternberg commença la mise en scène de Masked Bride (…). Un autre metteur en scène, Phil Rosen, recommença Escape, et en fit un nouveau film, joué par les mêmes acteurs et présenté sous le titre The Exquisite Sinner. Je travaillai avec Rosen pendant 6 semaines. La version de Von Sternberg était cent fois supérieure à celle de Phil Rosen. » Quant à Sternberg, il précise dans ses Mémoires d'un montreur d'ombres : « Avec une bienveillance sans égale, cette grande organisation refit entièrement le film pour me montrer où j'avais péché et comment j'aurais dû le réaliser. Il en résultat deux mauvais films au lieu d'un seul. »

The Exquisite Sinner ne sera finalement distribué que fin mars 1926, Heaven on Earth en mars 1927.

Blandine Etienne


  • Type d'objet : Photographie de tournage
  • Support : Tirage argentique noir et blanc
  • Année : 1925
  • Pays : États-Unis
  • Format : 21 × 26 cm
  • Crédits : Droits réservés