Tay Garnett

Du 13 mars au 29 avril 2013

Un homme libre à Hollywood

Présenter l’ensemble des films réalisés par Tay Garnett, c’est à la fois proposer au spectateur un voyage au cœur du divertissement hollywoodien classique et découvrir des moments de grâce où le style, la « touche » d’un cinéaste parvenait à questionner, avec humour et finesse, les catégories figées parfois par la routine de l’usine à films. C’est, enfin, dessiner le parcours d’un aventurier de la pellicule à nul autre pareil. Il est surtout connu pour son adaptation du roman de James Cain, qu’il transforme en sommet du Film Noir des années quarante, The Postman Always Rings Twice (Le Facteur sonne toujours deux fois), avec Lana Turner et John Garfield. On peut certes y ajouter l’autre titre qui a fait sa réputation, le fameux One Way Passage (Voyage sans retour), en 1932, célébré à juste titre par les surréalistes. Certains se souviennent aussi qu’il a filmé une rencontre détonante entre Marlène Dietrich et John Wayne, dans Seven Sinners (La Maison des sept péchés) en 1940. Tay Garnett fut pourtant plus que cela. Si l’on passe en revue le détail de sa carrière, on s’aperçoit aussi qu’il ne fut pas, de loin, l’homme d’un seul studio mais qu’il aura réalisé des films pour Pathé-Exchange, Universal, Warner Bros., la MGM, la RKO, la Twentieth Century Fox ou pour les indépendants Walter Wanger ou Richard Rowland, se glissant avec aisance dans chaque style-maison (lorsqu’il y en avait un), tout en gardant, la plupart du temps, une patte personnelle.

Tay Garnett est né le 13 juin 1894 à Los Angeles. Après avoir participé à la Première Guerre mondiale dans la marine et organisé des spectacles de vaudevilles comiques pour les troupes, il intègre l’écurie Hal Roach, l’un des plus importants producteurs de films burlesques à Hollywood. Il rejoint ensuite Mack Sennett, l’autre grand fabricant de bandes comiques et collabore à l’écriture de scénarios, dont certains avec Frank Capra, pour des films dont la vedette est Harry Langdon (The Strong Man/L’Athlète complet, Long Pants/Sa dernière culotte) mais aussi Stan Laurel. De cette expérience de jeunesse, il conservera toujours un goût et un savoir-faire pour un humour visuel, décliné dans un grand nombre de films, dont certains ne sont pas forcément des comédies. Les films des années trente, époque où la comédie est prédominante chez Garnett, se caractérisent, en effet, par une hétérogénéité de style et d’ambiances. Ainsi l’étonnante dénonciation du gangstérisme, Okay America, réalisée pour Universal en 1932, mêle attaque virulente contre la corruption avec la peinture de personnages au bord du grotesque. Le magnifique mélodrame One Way Passage, racontant les derniers mois d’un condamné à mort et d’une femme malade incurable, est aussi une comédie légère, doucement loufoque, pleine de rebondissements comiques. Le burlesque s’insinue ainsi dans tous les genres jusqu’à les faire subtilement muter. L’ambiguïté morale, l’irruption de la tragédie caractérisent des titres comme China Seas/La Malle de Singapour ou Slave Ship/Le Dernier négrier, très bizarre récit d’aventure, à l’écriture duquel a participé William Faulkner et dont le héros est un négrier davantage saisi, in extremis, par l’amour que par un sursaut éthique. Les comédies qu’aligne par ailleurs Garnett à cette époque sont particulièrement enlevées, emportées par un sens du tempo qui mêle comique de situation et slapstick visuel spectaculaire, comme dans Love Is News/L’Amour en première page, Joy of Living/Quelle joie de vivre ou Stand-in/Monsieur Dodd part à Hollywood, irrésistible satire des mœurs de l’industrie du cinéma. Garnett affectionne le principe des gags récurrents et l’inversion carnavalesque règne. Tyrone Power exige par exemple, dans Love Is News, que ses droits constitutionnels soient respectés pour pouvoir rester en prison afin d’échapper à Loretta Young (!), exemple d’une ambiguïté burlesque, fréquente dans son cinéma.

Tay Garnett est un maître des scènes de groupes ou de foules, le metteur en scène doué d’un chaos collectif souvent joyeux qui se traduit par de monumentales bagarres burlesques comme dans Seven Sinners ou Wild Harvest (Les Corsaires de la terre), la cohue des flots d’admirateurs en délire qui attendent l’actrice incarnée par Irene Dunne à la sortie de sa loge dans Joy of Living, ou bien (envers dramatique) la scène de transe des esclaves enchaînés dans Slave Ship. Cet art de la scène de groupe est particulièrement visible dans l’âpre film de guerre Bataan qu’il signe en 1943 ou dans le mélo guerrier The Cross of Lorraine. À partir du début des années quarante, il signera aussi des women’s pictures, décrivant des destins féminins qu’il abordera de façon subtilement critique, comme dans Cheers for Miss Bishop (récit de l’existence d’une institutrice dévouée qui va entièrement rater sa vie sentimentale) ainsi que dans Mrs Parkington (1944) ou The Valley of Decision/La Vallée du jugement (1945), deux titres qu’il réalise sous contrat avec la MGM. Mrs Parkington est doublement remarquable par la licence sentimentale qui s’organise entre les personnages, tout comme par l’amertume de sa dernière partie. Même s’il poursuit sa carrière cinématographique en n’oubliant pas le style de ses débuts, ce qui sauve toujours certaines séquences de films inégaux comme l’édifiant (mais marrant) The Fireball en 1951 avec Mickey Rooney, Tay Garnett va se diriger vers la télévision, dont il va devenir un des piliers en réalisant des épisodes de séries qui ont fait l’âge d’or du petit écran américain : The Untouchables (Les Incorruptibles), Wagon Train (La Grande caravane), Rawhide, Bonanza, etc. Sans cesser de revenir épisodiquement mais résolument, de temps en temps, au cinéma, jusqu’à sa mort en 1977. Même s’il n’a pas été admis dans le panthéon des grands artistes du cinéma américain par la cinéphilie la plus traditionnelle et peut-être la plus figée, Tay Garnett mérite en tout cas que l’on revoie attentivement tous ses films. Ce sont les œuvres d’un homme inventif, joyeux et sensible, d’un homme libre à Hollywood.

Jean-François Rauger

Les films

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