Serge Daney : 20 ans après

Du 20 juin au 5 août 2012

Hommage à Serge Daney

Vingt ans déjà. Cela fait tout juste vingt ans que Serge Daney est mort du sida, le 12 juin 1992. Il n’avait que 48 ans, laissant une véritable œuvre critique, un ensemble touffu de textes sur le cinéma, la télévision, la pub, le tennis, la vie politique. Textes critiques, textes théoriques, textes de journaliste et de voyageur. Serge Daney portait tour à tour chacune de ces casquettes. Le cinéma d’abord, en premier, et tout ce qui concerne l’espace public, l’espace du visible. Une œuvre au sens plein du mot, et, pourtant, éclatée, diverse, atomisée. Et néanmoins cohérente. Écrite dans le feu de l’action, avec le désir d’être synchrone avec un art dont il serait durant toute sa vie le serviteur, sans pour autant en être l’esclave.

Le cinéma comme unique horizon

Un mot convient pour évoquer Serge Daney : souveraineté. S.D. – car c’est ainsi que nous nous appelions, dans notre échange codé, tandis que j’étais pour lui S.T. – avait cette allure et cette aisance d’être dans l’espace du cinéma sans jamais en adopter les tics ou les mauvaises manières, encore moins la vulgarité. C’est ce qui en faisait un personnage singulier, une personnalité unique en son genre. Jeune homme déjà, il écrivit ses premiers textes – à l’âge de 18 ans à peine – le premier sur Rio Bravo, de Howard Hawks. Le cinéma était son unique horizon. Puis il est devenu son viatique, ce à quoi il s’adossait, avec l’âge et l’expérience, pour finir par considérer, dans un regard rétroactif et rétrospectif teinté de mélancolie, sa propre vie de cinéphile (ou ciné-fils) : celle d’un enfant unique, né en 1944 avec le cinéma moderne. 1944 : l’année de Rome, ville ouverte de Roberto Rossellini. Tout est parti de là, et tout se terminera là. Une longue boucle, vécue par S.D., dont il tenait à ce qu’elle se conclue de manière logique avec sa propre mort : naissance et mort du cinéma moderne. « Né en 1944, deux jours avant le débarquement allié, j’avais l’âge de découvrir en même temps mon cinéma et mon histoire. Drôle d’histoire que longtemps je ne crus que partager avec d’autres avant de réaliser – bien tard – que c’était bel et bien la mienne. »

Serge Daney a grandi dans une cinéphilie ouverte, à la fois populaire et sophistiquée. Populaire, parce qu’il a toujours vécu non loin de la Bastille, entre la rue des Taillandiers où il est né, et la rue Traversière où il est mort, fréquentant avec sa mère les cinémas de quartier. Pour aller de la rue des Taillandiers à la rue Traversière, il fallait nécessairement passer par le passage de la Boule blanche (qui donne sur le 50 de la rue du Faubourg Saint- Antoine), là où les Cahiers du cinéma s’installèrent en 1974, l’année où S.D. en prit la direction. Plus tard, en 1981, Serge Daney quitta ce périmètre intime et familier pour rejoindre Libération, alors installé rue Christiani dans le XVIIIe. Un long voyage, et un changement de rythme : écrire désormais au quotidien, avec ce que cela implique de réactivité, de montée au filet, de textes qui avaient la foudroyance de smashes de tennis. S.D. désormais allait lâcher tous ses coups. Des coups gagnants qui le rendaient heureux. Heureux d’être lu, heureux d’être dans la partie.

Le cinéphile voyageur

Impossible de comprendre Serge Daney sans avoir en tête l’idée de la marche, du voyage et de la (carte de) géographie. Le cinéma a aussi été pour lui un véhicule, plutôt lent (Serge était un infatigable marcheur, et prenait tout son temps), qui lui permit d’arpenter des territoires réels – Inde, Afrique, Japon, Maroc, etc. -, où il allait vérifier certaines idées ou obsessions qui le hantaient. C’est dans ces moments de voyage, la plupart du temps en solitaire, qu’il vérifiait « sur quel fond d’absence au monde la présence aux images du monde serait-t-elle plus tard requise ? » Cinéphilie populaire et sophistiquée, parce que, disait-il, le cinéma, dès sa naissance en 1895, a toujours marché sur ses deux jambes. L’une populaire, qui racontait des histoires au monde entier (l’histoire des têtes couronnées, avec ce que cela implique de déguisements, de jeux et trafics en tous genres), l’autre expérimentale, à partir de dispositifs d’enregistrement du monde réel. Méliès et Lumière, pour simplifier. Tout ce que Serge Daney a écrit est consigné dans des ouvrages, des recueils critiques, tous parus chez P.O.L., l’éditeur qu’il s’était enfin trouvé et qui, en 1991, quelque temps avant sa mort, accepta avec enthousiasme l’idée de publier une nouvelle revue de cinéma : Trafic. S.D. a toujours eu à ses côtés des complices, véritables alter ego, des jeunes qu’il a formés – j’en fus un durant les ingrates années soixante-dix aux Cahiers du cinéma, où nous luttions côte à côte pour quitter le dogmatisme politique et idéologique ; Olivier Séguret en fut un autre sur le versant Libération -, des comparses avec lesquels il noua des liens d’une fidélité exemplaire – je pense à Jean-Claude Biette, disparu il y a neuf ans, très proche de S.D., et d’une certaine manière complémentaire par sa vision poétique du cinéma -, à Sylvie Pierre, Raymond Bellour et Patrice Rollet avec lesquels il fonda Trafic. Parler de S.D. sans dire qui il était, et comment il était, dans l’amitié, serait un manque et une injustice à son égard. Mais la question qui vaut d’être posée, aujourd’hui, au moment où la Cinémathèque française évoque la mémoire de Serge Daney, à travers la programmation de films qu’il a vus et sur lesquels il a écrit, de films qui l’ont vu et qui ont scandé son itinéraire de cinéphile, à travers une journée de rencontres et de discussions, à travers enfin le spectacle réussi et vivant de Nicolas Bouchaud, mis en scène par Éric Didry, La Loi du marcheur, la question disais-je est celle de l’héritage critique, celle de la trace et de la mémoire. Qu’est-ce qui, de l’œuvre de S.D., nous aide aujourd’hui à voir, à mieux voir, les enjeux du cinéma, et ceux du monde tel qu’il se présente à nous ? Poser cette question de l’héritage critique, c’est déjà d’une certaine manière y répondre. Il y a urgence à relire S.D.

Serge Toubiana

Les films

Ana
António Reis, Margarida Cordeiro , 1982
Je 28 juin 14h00   HL
La Balade d'Emile
Manuel Otéro , 1967
La Fortune enchantée
Pierre Charbonnier , 1936
Barbe-Bleue
Olivier Gillon , 1978
Renaissance
Walerian Borowczyk , 1963
L'Empreinte
Jacques Armand Cardon , 1974
Labyrinthe
Piotr Kamler , 1970
Je 19 avr 19h30   GF
Damned Daney
Bernard Mantelli , 1988
Damned Daney 2
Bernard Mantelli , 1991
Me 20 juin 21h30   GF
Francisca
Manoel de Oliveira , 1981
Je 2 aoû 14h30   HL
Gertrud
Carl Theodor Dreyer , 1964
Ve 20 juil 14h00   HL
Ici et ailleurs
Jean-Luc Godard, Anne-Marie Miéville , 1970
Ve 3 aoû 20h30   JE
Sayat Nova
Sergueï Paradjanov , 1968
Ve 13 juil 14h30   HL
Trop tôt, trop tard
Jean-Marie Straub, Danièle Huillet , 1981
Je 21 juin 14h30   HL
Vers le sud
Johan van der Keuken , 1980
Me 25 juil 14h00   HL
Programme Artavazd Pelechian
Fin
Artavazd Pelechian , 1992
Nous
Artavazd Pelechian , 1969
Les Saisons
Artavazd Pelechian , 1972
Lu 30 juil 14h30   HL

Autour de l’événement

actualité

(re)lire Serge Daney

LA MAISON CINEMA ET LE MONDE
Volume3 - Les années Libé 2 (1986-1991)

Plus de 800 pages sur le cinéma, la télévision, la politique, le sport.

En librairie :

  • La Maison cinéma et le monde - Volume 1 : Le temps des cahiers (1962-1981) 574p.
  • La Maison cinéma et le monde - Volume 2 : Les années Libé 1 (1981-1983) 1036 p.

 

 

Partenaires et remerciements

Agence du court métrage, Ardèche Images Production, Arkeïon, British Film Institute, Christophe Boutang, Documentaires sur Grand Ecran, Les Films du Losange, Europeimages, Films sans Frontières, Forum des Images, Gaumont, Les Grands Films Classiques, Greek Film Center, Images de la culture, INA, Institut Lumière, Jean-Marie Straub, MK2, Park Circus, Pascal Kané, Pathé, Le Petit Bureau, Philippe Garrel, Serge Avédikian, Serge Le Péron, Sony-Columbia, Splendor Films, Tamasa Distribution/Les Acacias, Théâtre du Temple, Wild Side Distribution.

En partenariat avec

Les Inrockuptibles Libération