Robert Altman

Du 18 janvier au 11 mars 2012

Un rebelle à Hollywood

Figure emblématique du cinéma américain des années soixante-dix, cinéaste iconoclaste et anticonformiste, Robert Altman demeure avant tout un des rares francs-tireurs du cinéma hollywoodien contemporain qui a su conserver son indépendance et sa fougue créatrice au sein du système, au risque de la marginalisation. Son statut de rebelle et sa très forte personnalité lui ont permis de surmonter de nombreuses déconvenues artistiques, survivre à une longue traversée du désert et finir en beauté une carrière en dent de scie.

L’œuvre d’Altman est si foisonnante qu’elle peut susciter des sentiments contradictoires, y compris et surtout dans le registre de l’admiration. On a l’embarras du choix lorsqu’il s’agit de désigner ses meilleurs films.

Bien qu’il ait atteint la consécration auprès de la critique avec ses fresques chorales (de Nashville à Short Cuts), c’est pourtant dans la relecture des genres hollywoodiens qu’Altman a su le mieux exprimer son talent de conteur ironique et de scrutateur désabusé de la civilisation américaine, et aussi son individualisme à travers des figures anachroniques de « losers » chevaleresques comme Philip Marlowe dans Le Privé ou John McCabe, petit entrepreneur victime du grand capitalisme. Altman a très vite pris ses distances avec la narration classique, passé maître dans l’étude de caractère (le très beau California Split, film sur le jeu mais surtout l’amitié masculine), amateur d’intrigues policières prétextes où il peut donner libre cours à son humour noir et à sa lucidité sur la nature humaine, souvent dissimulés derrière une misanthropie de façade.

Robert Altman naît en 1925 à Kansas City dans le Missouri. C’est dans sa ville natale qu’il apprend la technique cinématographique, en réalisant une soixantaine de courts métrages industriels pour la Calvin Company. A la même époque il tente plusieurs fois sa chance à Hollywood (figurant dans La Vie secrète de Walter Mitty, coscénariste de Bodyguard de Richard Fleischer) mais ces expériences sont sans lendemain. À la fin des années cinquante, il réalise deux longs métrages, The Delinquents (1955) tourné à Kansas City et le documentaire The James Dean Story (1957). Il continue pendant dix ans de travailler à la télévision où il réalise de nombreux épisodes de séries (d’Alfred Hitchcock Presents à Bonanza). Un emploi sans grand prestige, de longues années d’apprentissage ingrat, d’anonymat et d’insuccès distinguent Altman des wonder boys du Nouvel Hollywood comme Coppola ou Scorsese, qui ont vingt ans de moins que lui et connaîtront des carrières plus fulgurantes. Ses tentatives suivantes au cinéma (Countdown en 1968 et That Cold Day in the Park en 1969) se solderont par de nouveaux échecs. En 1970, Il accepte de mettre en scène M*A*S*H après que le film a essuyé le refus d’une douzaine de cinéastes. Il a quarante-quatre ans et c’est la gloire, enfin. Cette comédie antimilitariste se déroulant pendant la Guerre de Corée obtient la Palme d’or au festival de Cannes, remporte un triomphe et consacre Altman comme un des auteurs les plus originaux du nouveau cinéma américain. Le film joue la carte de la contestation, en phase avec la mode hippie et l’infiltration de la contre-culture jusque dans les grands studios hollywoodiens. M*A*S*H relate la vie dans un hôpital de campagne en Corée, mais il fut tourné alors que les combats s’intensifiaient au Viêt-Nam et personne ne fut dupe sur la nature de la guerre décrite par Altman. Le film s’inscrit dans la tradition des récits guerriers insistant sur la truculence de la vie de garnison, dans la lignée de ceux de Walsh par exemple. L’antimilitarisme devient une valeur ajoutée, ainsi que l’anticléricalisme à la faveur d’une parodie de la Cène et des portraits d’un aumônier ridicule et d’un officier bigot, stupide et hypocrite. Si le film est révolutionnaire, c’est avant tout par ses partis-pris formels extrêmement audacieux. La mise en scène et les innovations sonores et visuelles d’Altman se révèlent passionnantes. Altman pousse à son paroxysme un procédé déjà employé par Hawks, l’« overlapping dialogue », qui consiste à faire parler plusieurs personnages en même temps, jusqu’à la cacophonie. Renforcée par l’utilisation de nombreuses pistes sonores, associée à de très longs plans d’ensemble aux actions multiples, cette superposition installe un brouillage du sens qui rend parfaitement compte du chaos et de l’anarchie que le cinéaste, témoin cynique de son temps, s’amuse à enregistrer avec la complicité d’une troupe d’excellents comédiens, parmi lesquels Elliott Gould (qui réapparaîtra dans le cinéma d’Altman) et Donald Sutherland, déchaînés. Ces inventions formelles déjà en place dans le titre étalon du système Altman se retrouveront dans presque tous ses films suivants, qui confirment son talent et son souci de perturber les mythologies hollywoodiennes par une bonne dose d’ironie et de réalisme. Iconoclaste, Altman critique les valeurs fondatrices de l’Amérique dans la fable Brewster McCloud (1970), le western John McCabe (1971), le Film Noir Le Privé (1973), la chronique criminelle Nous sommes tous des voleurs (1974) qui comptent parmi ses plus grandes réussites. Entre M*A*S*H (1970) et Popeye (1980), Altman n’a cessé de tourner, dans un fièvre créatrice extraordinaire. Il rassemble autour de lui une troupe fidèle de comédiens (exceptionnel directeur d’acteurs, il découvre la longiligne Shelley Duvall), de scénaristes et de techniciens. Les plans séquences, l’emploi presque exclusif de la Panavision, les dialogues improvisés, les effets de téléobjectifs et de zooms confèrent à ses films un style immédiatement reconnaissable.

Le cinéma d’Altman se définit par un mélange paradoxal d’hyperréalisme et de distanciation. Le cinéaste aime en effet accompagner ses films de commentaires et de ponctuations, souvent sonores et musicales, parfois visuelles (les affiches de films dans The Player) qui scandent le déroulement du récit, le critiquent de l’intérieur : les messages du haut-parleur de M*A*S*H, les interventions du conférencier sur les oiseaux dans Brewster McCloud, le conte pour enfant écrit par l’héroïne schizophrène de Images, les chansons de Leonard Cohen dans John McCabe, mais aussi celles du Privé, de Nashville, Popeye, Un couple parfait, Short Cuts, Kansas City, The Last Show… La musique populaire est essentielle au cinéma d’Altman, qui accorde fréquemment au spectacle, et à la représentation spectaculaire ou théâtralisée de la société et de l’Histoire américaine une importance centrale (Nashville, Buffalo Bill et les Indiens, Secret Honor…)

La variété de son inspiration impressionne. Adepte d’un cinéma naturaliste, sarcastique et viril, il est également l’auteur de films oniriques et purement mentaux comme le thriller fantastique Images (1972) ou Trois Femmes (1977), qui plongent dans la psyché de personnages féminins fragiles et tourmentés. Altman avouera que ce dernier film est né d’un rêve. Federico Fellini et Ingmar Bergman sont à la fois des cinéastes admirés et des sources d’inspiration, pour une veine ésotérique moins féconde et aboutie que sa veine satirique ou chorale.

Altman propose aussi dans les années soixante-dix une nouvelle façon de mettre en scène le chaos du monde, avec des films polyphoniques qui rassemblent plusieurs récits et des dizaines de personnages différents dans un lieu ou une ville uniques. C’est la veine la plus originale d’Altman, qui après avoir passé en revue les principaux genres hollywoodiens – y compris la science-fiction avec Quintet (1979) – invente son propre genre, avec Nashville (1975), fresque virtuose sur les destins croisés de vingt-quatre personnages, artistes, politiciens ou aspirants chanteurs dans la capitale de la musique country. Altman renouvelle l’expérience avec Un mariage (1978), film sur la grande bourgeoisie qui ne laisse percer aucune tendresse pour ses protagonistes, en doublant arbitrairement le nombre de personnages de Nashville.

La plupart des films d’Altman, y compris ses meilleurs comme John McCabe, Le Privé, California Split (1974), ne rencontrent qu’un faible écho auprès du public au moment de leurs sorties. Une entreprise plus modeste mais néanmoins remarquable comme Un couple parfait (1979), relecture de la comédie romantique hollywoodienne classique, ponctuée de séquences musicales, passe injustement inaperçue. L’ambitieuse production de Robert Evans (pour Disney) Popeye aboutit à un film très étrange, mariant le réalisme inhérent au cinéma d’Altman et son intérêt pour la culture populaire américaine.

Affaibli par une longue série de déconvenues commerciales, victime du changement d’époque où les artistes ne sont plus tolérés à Hollywood, Altman connaît dans les années quatre-vingts une longue traversée du désert qui le conduit à nouveau vers la télévision puis l’Europe, où il tournera quelques films mineurs. Altman quitte Los Angeles pour New York (une ville qu’il n’a jamais filmée, pas assez américaine à ses yeux), contraint d’abandonner sa société Lions Gate avec laquelle il avait produit ses films des années soixante-dix et aussi ceux d’autres réalisateurs comme Alan Rudolph. Il filme surtout des captations ou des adaptations théâtrales, pour le cinéma ou la télévision. Cette période difficile lui offre cependant une grande satisfaction avec la série Tanner ‘88, dix épisodes de trente minutes qui sous la forme d’un faux reportage sur un faux candicat démocrate à l’élection présidentielle dressent un portrait satirique des médias et du monde politique. The Player (1992), un portrait au vitriol d’Hollywood, et Short Cuts (1993), d’après Raymond Carver, lui permettent d’effectuer un des plus spectaculaires come-backs du cinéma américain.

Après ces deux films magistraux, sans doute les plus féroces de son oeuvre, Altman accède avec Cookie’s Fortune (1999) ou Docteur T et les femmes (2000) à une sérénité qui le rend encore plus libre et plus sûr de lui par rapport au scénario et au tournage et lui permet de se soucier davantage de l’ensemble que du détail, de privilégier la chorégraphie du film plutôt que son sujet propre.

Robert Altman n’a jamais caché son admiration pour Jean Renoir, affirmant que La Règle du jeu lui avait tout appris sur le métier de cinéaste. À la fin de sa carrière, Robert Altman a signé avec Gosford Park (2001) un hommage explicite au chef-d’œuvre de Renoir.

Son dernier film est peut-être son plus beau et son plus émouvant. The Last Show sort en France quelques semaines après la mort de Robert Altman le 20 novembre 2006. C’est un véritable testament artistique où le cinéaste clame pour la dernière fois sa tendresse pour les marginaux, les artistes, les déclassés et les petites gens de l’Amérique profonde.

Olivier Père

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