Milos Forman

Du 31 août au 20 septembre 2017

Les chemins de la liberté

Vol au-dessus d'un nid de coucou, Hair, Amadeus... Qui ne connaît Milos Forman, sinon l'homme du moins ses films ? Mais davantage certains de ses films que l'œuvre tout entière, d'une rare cohérence par-delà les accidents d'une vie. Qui, jusqu'à récemment, a vraiment pris en compte Taking Off ? Qui a vu Ragtime sur grand écran ces dernières années ? A-t-on assez dit que Man on the Moon est un film stupéfiant, variation inspirée sur le spectacle et l'anti-spectacle ? Comprend-on suffisamment que les films et personnages de Forman ont en commun un humour tellement jusqu'au-boutiste qu'il devient manifeste politique ? « L'humour jaillit d'une crevasse qui s'est ouverte entre ce que les choses prétendent signifier et ce qu'elles sont en réalité. (...) Rien ni personne n'est dispensé du comique qui est notre condition, notre ombre, notre soulagement et notre condamnation », écrit Kundera à propos de Milos Forman justement. Sans doute cette attitude philosophique face à l'insensé de l'existence l'a t-elle sauvé lui-même, lui insufflant légèreté et lucidité, lui donnant envie de la place de cinéaste comme lieu idéal d'observation et qualifiant à jamais son regard sur le monde.

Naissance d'un regard

Né à Čáslav, dans l'ancienne Tchécoslovaquie, il est élevé dès l'âge de huit ans par de proches parents, les siens ayant été déportés sans retour. Il faut dire d'emblée la particularité d'un destin qui va irriguer toute son œuvre et lui donner chaque fois, quel que soit le sujet ou le pays du tournage, cette couleur si personnelle : Forman a connu intimement et à différents âges de sa vie toutes les idéologies qui ont formé et défiguré le XXe siècle, le nazisme, le communisme soviétique, le capitalisme américain. Non qu'il ait posé sur celles qu'il a représentées un regard d'équivalence ; il n'est simplement jamais dupe d'aucune, ni de celles-là ni de modèles historiques antérieurs, conscient de leurs effets systématiquement dévastateurs. Chaque fois, il leur oppose une liberté individuelle aussi fragile qu'acharnée et célèbre les sortes de riposte inventées par quelques-uns : un chant, un cri, une provocation, une sonorité inconnue – la musique et le rire de Mozart.

Étudiant à la FAMU, l'école pragoise pour futurs metteurs en scène, il travaille pour la télévision naissante, devient scénariste, assistant et signe un premier moyen métrage pour le cinéma, Concours, en 1962. Un film qui tranche déjà avec la production courante en choisissant, non un sujet « héroïque » mais banal sauf qu'il n'était jamais traité à l'époque, révélant alors un interdit qui ne demandait qu'à se déchaîner : la vie réelle et les attentes d'une jeunesse, elle-même vue avec tendresse et sans complaisance. Forman est synchrone avec les nouvelles vagues qui se forment un peu partout au cours des années soixante. La confirmation de ce regard si singulier survient très vite avec deux longs métrages sensibles et impitoyables : L'As de pique (1963) et Les Amours d'une blonde (1965). En 1967, le jeune cinéaste fait un pas de plus, signant avec Au feu, les pompiers son premier film en couleurs et, surtout, une satire bouffonne qui trahit une impatience, la sienne et celle des forces vives de son pays : quelque chose d'un ordre politique immuable et périmé va céder, doit céder. Il est en France au moment où les forces du pacte de Varsovie écrasent en août 68 le Printemps de Prague, dont ses films tchèques constituent alors rétrospectivement parmi les plus beaux signes avant-coureurs. 1968 est le moment de l'impossible retour en arrière, du grand saut. Ou, tel qu'il a résumé lui-même son trajet d'est en ouest, Forman passe « du zoo à la jungle », d'un lieu où les personnes vivent comme en cage à un autre où l'illusion consiste à croire à la liberté parce qu'elle existe en théorie et même placée au cœur de la philosophie politique du « nouveau monde ».

Un cinéaste à part

Étrangement ou logiquement, cet artiste, dont l'œuvre américaine interroge le spectacle et produit sa représentation critique, va rencontrer le succès : cinq Oscar pour Vol au-dessus d'un nid de coucou (1975), huit pour Amadeus (1983). En même temps, Forman demeure aux États-Unis un cinéaste à part : voir Taking Off, son premier film « américain » (1971) qui s'inspire en partie de Concours, qu'il tourne avec Miroslav Ondříček, le chef-opérateur de sa période tchèque, qui s'intéresse autant sinon moins à la jeunesse de son temps (Hair, dix ans plus tard) qu'à la génération des parents. À part encore parce que si souvent européen dans ses goûts : Amadeus, Valmont d'après Choderlos de Laclos (1988), Les Fantômes de Goya (2005). À part toujours parce qu'il choisit ses sujets ; parce que ses méthodes sur le plateau servent avant tout à restituer une certaine forme de « naturel » et de spontanéité des êtres, des gestes et des situations ; parce qu'il sait unir dans un même film la fresque et la miniature, tout un art du portrait à la manière de cet artiste dans Ragtime (1981) capable de faire apparaître des figures ressemblantes en découpant des profils dans du papier noir. Surtout, il s'éprend de personnages insoumis : Mozart, McMurphy (Jack Nicholson dans Vol au-dessus d'un nid de coucou), Berger (Treat Williams dans Hair), Larry Flint (1996), Andy Kaufman (Jim Carrey dans Man on the Moon, 1999), tous en butte à une forme ou une autre d'oppression avant que ne se dévoilent peu à peu leurs fêlures secrètes, la tentation du dédoublement, une forme de démence même que le spectateur, pris au piège de son identification idéale, n'avait su déceler plus tôt et constate avec étonnement. C'est dans cette manière d'être toujours surprenant et subtil, capable de formuler et déjouer des attentes, de provoquer pendant la projection elle-même un déplacement de la pensée que Forman rejoint son ambition la plus grande : « Je voudrais arriver à concevoir un art qui, à travers les infimes manifestations de l'esprit humain, puisse découvrir et libérer les plus grandes quantités d'énergie. »

Bernard Benoliel

Autour de Milos Forman

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