King Hu

Du 8 au 27 février 2012

King Hu

King Hu (Hu Jinquan) a consacré sa vie et son art à la Chine ancienne impériale. Né à Pékin en 1931, où il étudie à l’Institut National des Beaux-Arts, l’arrivée au pouvoir des communistes en 1949 le pousse vers Hong Kong, avant de choisir de vivre et de travailler à partir de la seconde moitié des années soixante à Taïwan. Si sa vie s’est répartie sur les trois Chine, le cœur de son œuvre ne bat que pour une seule, peu pacifiée pour autant. Conflits et tensions, ruses et trahisons, affrontements entre le monde civil et religieux (bouddhisme), querelles de pouvoirs et autres convoitises, regardées parfois avec dérision et ironie (Raining in the Mountain, 1979), sont le lot de la plupart de ses films. L’œuvre de King Hu reste associée à un genre, le film de sabre (wu xia), qui grâce à elle a atteint des sommets esthétiques et artistiques inégalés, sans rompre pour autant avec son socle populaire. Alors que le déploiement de ce genre, lié profondément à l’histoire du cinéma chinois de ses origines à nos jours, et à l’évolution politique entre les trois Chine au fil du siècle dernier, a toujours été associé à une tradition de studio et à son savoir faire, King Hu, après avoir travaillé pour la Shaw Brothers (Come Drink With Me, 1966, sorti en France sous le titre L’Hirondelle d’or), reprendra sa liberté. Indépendance qui lui permettra d’atteindre des sommets (Dragon Inn, 1967, A Touch of Zen, 1971, L’Auberge du printemps, 1973, Pirates et guerriers, 1975, Raining in the Moutain, 1979) puis le mettra en difficulté sur le plan de la production, quand le genre, devenu obsolète, fera de King Hu, selon la belle expression d’Olivier Assayas « un géant exilé ».

De Hong Kong à Taïwan

Arrivé à Hong Kong, King Hu débute comme dessinateur. Il rejoint le département décor de la Yong Hua, travaillant pour Yan Jun (Humiliation for Sale, 1954) puis entre à la Great Wall comme décorateur. Grâce à son ami Li Hanxiang (1929-1997), ancien assistant-réalisateur de Yan Jun, il est engagé comme acteur et scénariste à la Shaw Brothers en 1958, avant de réaliser sous la supervision de Li Hanxiang The Story of Sue San (1962), puis en l’assistant à nouveau sur Love Eterne, adaptation d’un célèbre opéra chinois déjà porté à l’écran par Sang Hu (La Romance de Liang Shanbo et Zhu Yingtai, 1954). En 1965, il écrit et réalise Sons of Good Earth (1965), sur la guerre sino-japonaise, qui sera amputé à sa sortie par la Shaw. Vient son premier film de sabre, L’Hirondelle d’or, inspiré de la tradition du Nord et de l’Opéra de Pékin (la scène de l’auberge, le second rôle comique du clown guerrier ou wuchou, les intermèdes chantés) et pour lequel il s’entoure de Han Yingjie, collaborateur fidèle, chorégraphe des scènes de combat et souvent acteur. Alors qu’il rompt avec la Shaw en 1966 et rejoint la Lianbang (Taïwan), il connaît un succès retentissant à Taïwan et à Hong Kong avec Dragon Inn (1967), auquel Tsai Ming-liang rendra hommage (Good Bye, Dragon Inn, 2003). La décennie suivante sera heureuse et inspirée, avec A Touch of Zen (1971), qui lui prend trois ans de sa vie, présenté à Cannes en 1975, la fondation de sa maison de production en 1970, et la participation la même année à un film à sketches Four Moods, avec Li Hanxiang et Li Xing, pour lequel il réalise l’épisode Anger. De retour de Corée du Sud, où il tourne simultanément pendant un an Raining in the Mountain (1979), son chef-d’œuvre, et Legend in the Moutain, écrit par son épouse Chong Ling, à la coloration plus fantastique (une histoire de fantômes), vient une période plus difficile (Mariage, 1981, All the King’s Men, 1983), puis la participation à un film à sketches, The Wheel of Life (1983), réalisé avec Li Xing, destiné à contrecarrer les velléités de la Nouvelle Vague taïwanaise (In Our Time, 1982, The Sandwich Man, 1983), qui sera un échec cinglant et, pour cette génération, l’équivalent d’un suicide. La tardive main tendue par Tsui Hark ne lui sera d’aucun secours (Swordsman, 1990), peu avant son dernier film, Painted Skin (1993), d’après la célèbre nouvelle fantastique de Pu Songling, déjà portée à l’écran par Li Hanxiang (The Ghost Story, 1979), tandis que son projet le plus cher, sur Matteo Ricci, ne verra jamais le jour.

De l’opéra à la calligraphie

Le film de wu xia a deux sources. L’une, majoritaire, inspirée du roman de chevalerie classique (Au bord de l’eau, Les Trois Royaumes) ou du nouveau roman d’arts martiaux apparu au milieu des années cinquante avec Jin Yong ou Louis Cha et Gu Long. L’autre, minoritaire, en retournant aux sources de l’Opéra de Pékin et à sa tradition martiale. Voie suivie par King Hu, attaché aux dames d’épée du répertoire opératique (wudan ou héroïne guerrière). L’auberge, dès L’Hirondelle d’or, puis avec Dragon Inn et L’Auberge du printemps, sera le lieu scénique qui scellera ces retrouvailles. Importance de l’architecture du décor, des accessoires, du placement des personnages, sens de la chorégraphie et des articulations entre les plans, avec cette alternance entre amour du cadre et de la surface puis vertu de la profondeur de champ. Les corps sont immobiles mais les objets-armes fusent pour eux, ou les accessoires sont immobiles et les personnages en mouvement (sauts, acrobaties) animent la scène en un feu d’artifice coloré, alors que le bruit des tissus dans l’air chante la mélodie des corps. Tradition musicale de l’opéra oblige, tout est affaire de rythme et de montage, d’accélération et de ralentissement, d’élans furtifs et d’arrêts brusques. D’une action, dont on ne voit que le milieu, nous manque son point de départ et d’arrivée, et d’une autre action, dont on voit le déclenchement et son impact, nous manque son développement. Unité, fragments, intervalles, temps morts et temps vifs, tout est merveilleusement orchestré. Rien à voir par conséquent avec le choc de l’action et l’explosion des corps (Chang Cheh) ou avec la frénésie du wu xia fantastique de Tsui Hark (Zu, les guerriers de la montage magique, 1983) où l’emballement de l’action ressemble à une toupie affolée que rien ne peut plus arrêter.

De L’Hirondelle d’or à Raining in the Mountain, King Hu a tenté l’alliance heureuse entre amour de l’opéra (unité de la scène close avec ses multiples combinatoires et agencements, ses variations de rythme, entre fulgurances et mouvements amples) et plaisir de la calligraphie, à jamais plane et ouverte. Les splendides scènes de forêt (A Touch of Zen, Raining in the Mountain) alternent mouvements horizontaux (course-poursuite) et verticaux, avec ces sauts dans le vide de personnages drapés dans leurs costumes qui semblent avoir pour mission par la grâce du montage de ne plus devoir retomber. Les travellings d’accompagnement déréalisent la nature et les brusques panoramiques d’un personnage à l’autre amplifient les intervalles et rendent la matière floue, à l’image du plein et du délié du pinceau. Mais lorsque Xu Feng, la muse de King Hu, s’arrête de courir, on la voit reprendre son souffle, respirer fortement, le front en sueur, l’air soucieux, avant de repartir. Chez King Hu, pour notre plus grand bonheur, l’abstraction a ses limites.

Charles Tesson

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