Catherine Breillat

Du 1 au 20 septembre 2010

La malédiction du féminin

Une des cinéastes les plus originales du cinéma français contemporain. Depuis son premier film, adapté de son propre roman, Une vraie jeune fille en 1976 jusqu’à Barbe Bleue en 2009, Catherine Breillat n’a cessé d’interroger les relations entre les hommes et les femmes conçues comme un affrontement où le désir se conjugue avec l’hostilité, l’attraction avec la répulsion. Le cinéma de Breillat remet radicalement en cause les clichés qui conditionnent au cinéma la représentation des rapports entre les sexes pour en délivrer une image crue, vraie, dans des films comme Tapage nocturne, Romance X, Anatomie de l’enfer ou Une vieille maîtresse. Elle a su également décrire avec une acuité singulière les troubles des adolescentes dans 36 fillette et A ma sœur ! A l’occasion de cette rétrospective nous découvrirons, en avant-première, le nouveau film de Catherine Breillat, La Belle Endormie.

C’est dans les premières minutes d’Anatomie de l’enfer. Une jeune femme vient de se tailler les veines dans les toilettes d’une boîte de nuit. L’homme qui la secourt lui demande pourquoi elle a fait ça. « Parce que je suis une femme » répond-elle. Quelle est cette malédiction qui pousse ce personnage du dixième long métrage de Catherine Breillat à se mutiler, dans un désir évident de mort et d’abolition de soi ? Cette interrogation est la hantise d’une des œuvres les plus implacables et les plus justes qui se soit jamais attaquée à la question de l’identité sexuelle et aux rapports entre les sexes. Loin de tout pathos féministe tout autant que des clichés patriarcaux, le cinéma de Catherine Breillat se trouve à la distance idéale, la plus juste, celle qui n’entrevoit la question de l’identité que dans un rapport fort et problématique, sans doute sans issue possible, avec l’autre.

Avant d’être cinéaste, Catherine Breillat a été écrivain. Elle publie à dix-sept ans son premier roman, L’Homme fragile. En 1976, son premier long métrage, Une vraie jeune fille est l’adaptation d’un autre de ses romans, Le Soupirail. La littérature ne se séparera jamais de son travail de cinéaste. Elle continuera, en effet, d’écrire tout en réalisant des films, fera d’un scénario qu’elle n’arrivera pas à faire financer, un roman (36 Fillette), qu’elle finira plus tard, néanmoins, par adapter à l’écran. Tout comme elle transformera en récit le scénario de Police qu’elle n’aura pas pu mener à bien avec Maurice Pialat. Son essai Pornocratie deviendra en 2005 le film Anatomie de l’enfer. Une telle interaction du cinéma et de la littérature n’aboutit certes pas à mettre sur le même plan les deux activités créatrices mais ne sera pas sans conséquences sur la manière dont l’une nourrit l’autre, dont les images innervent les mots et dont les mots, que ce soit les dialogues d’une crudité parfois sidérantes ou les voix off souvent d’une belle précision, alimentent les images.

L’impossible liberté sexuelle

Le cinéma de Breillat s’affirme dénué de toute illusion face à ce que l’on désigne comme « la révolution sexuelle ». L’amour libre est un oxymore redoutable, une contradiction insoluble. Car la liberté apparente éprouvée par ses personnages y apparaît lourde de contraintes et de prescriptions douloureuses. C’est ainsi que la perte de la virginité est à la fois désirée et redoutée dans ses films mettant en scène des adolescentes. Une vraie jeune fille en 1975, 36 Fillette en 1988, A ma sœur ! en 2001 confrontent de très jeunes filles à ce moment de vérité qu’est ce que l’on appelle « la première fois ». Mais si le dépucelage est un moment de vérité ce n’est pas parce que l’acte sexuel y serait la preuve de l’authenticité de la passion amoureuse. Certes, dans A ma sœur !, la jeune Elena (Roxane Mesquida) se prendra à ce piège contrairement à sa petite sœur boulotte, bien plus lucide sur ce qui se joue alors. Déjà dans 36 fillette, la séparation du sexe et du sentiment s’y affirme dans le fait que l’héroïne ne perd pas son pucelage avec l’homme qu’elle désire véritablement, qu’elle le fait comme une formalité pénible mais nécessaire à accomplir. En acceptant de coucher pour la première fois avec son jeune voisin, elle se débarrasse en effet de toute justification romantique sans doute pour affronter lucidement son propre désir dans sa nudité formidable. D’ailleurs séparer la tête du sexe, le cul et les sentiments, tout en sachant qu’il faut bien composer avec les deux, c’est exactement l’obsession de l’héroïne de Romance X (1999) qui imagine un dispositif fantasmatique qui couperait en deux le corps des femmes. Au-dessus, l’amour et la raison imposée par la société, en dessous le sexe.

Une redoutable guerre de sexes

Le cinéma de Breillat raconte une guerre redoutable dont il dissèque avec précision les mécanismes. Et c’est en optant pour les plans longs, seule manière de saisir l’intensité de ce qui se joue, de décortiquer le conflit de la volonté et du désir, de la pulsion et de la peur que Breillat parvient à atteindre la vérité de certains moments. Souvent les longues scènes durant lesquelles les tentatives de séduction voire de possession de l’un se heurtent à la résistance de l’autre constituent les moments forts des films. On se souvient de Claude Brasseur essayant de « basculer » Lio sur un canapé dans Sale comme un ange (1990), de l’infini mouvement de balancier (« tu veux ou tu veux pas ? ») capté entre Etienne Chicot et Delphine Zentout dans 36 fillette, du siège d’Elena par son petit ami italien essayant de la déflorer sous les yeux de la sœur de celle-ci dans A ma sœur !. C’est sans doute dans Parfait Amour ! (1996) que la dimension mortelle de la guerre des sexes apparait le plus visiblement. L’amour est ici un lent processus de destruction moins en raison d’une impossible réconciliation des sexes, moins parce que son cinéma semble affirmer le cliché selon lequel il n’y aurait pas de rapports sexuels, mais bien plutôt parce qu’il semble confirmer une réalité redoutable : on en veut toujours à l’autre, jusqu’à la haine parfois, du désir qu’il a déclenché en soi.

Une œuvre en mouvement

Revoir toute l’œuvre de Catherine Breillat en quelques jours sera aussi une manière de profiter d’un point de vue synthétique sur une filmographie qui évolue et qui change imperceptiblement de nature. A l’autobiographie romanesque, à moins que ce ne soit à un romanesque autobiographique, (d’Une vraie jeune fille à A ma sœur !) a succédé une pause réflexive et théorique avec des films qui ne sont pas vraiment des fictions mais ressembleraient davantage à des essais (dès Romance X mais surtout Sex is Comedy en 2002 et Anatomie de l’enfer). Une vieille maîtresse semble pousser les recherches de la cinéaste encore plus loin, vers le passé (c’est son premier film en costumes) mais surtout vers les modèles littéraires, les représentations symboliques et primitives, sublimées peut-être, des rapports entre des hommes et des femmes captifs de leur désir. Ainsi, en toute logique, c’est vers le conte de fée que Catherine Breillat se tourne avec B*arbe Bleue* (2009) enfin, et son nouveau film La Belle Endormie pour mettre à nu les archétypes de ce qu’elle a toujours cherché à révéler.

Jean-François Rauger

Partenaires et remerciements

Catherine Breillat, Flach Films, Arte, Carlotta Films, Gaumont, Pyramide, Margo Films, Rezo Films, Tamasa, GMT productions.

En partenariat média avec

Libération Critikat