« Last Spring », « Nus masculins » : deux courts métrages gays de François Reichenbach tirés de l'oubli

Hervé Pichard - 7 septembre 2016

François Reichenbach, réalisateur de L'Amérique insolite et d'Arthur Rubinstein, l'amour de la vie, tourne en 1954, lors d'un voyage aux États-Unis, un court métrage gay, Last Spring, alors qu'il commence à peine à faire du cinéma, à une époque où il est peu commun de tourner des films queer et d'afficher, à l'écran comme dans la vie, une attirance pour le même sexe que le sien. Le film a été réalisé certainement pour être vu uniquement par quelques proches, comme on tourne un film entre amis.

Intimités

Last Spring est un « film amateur » au sens noble du terme, notion revendiquée par le cinéaste tout au long de sa carrière, car elle contient cette idée étymologique de l'amour de l'art, valeur essentielle, incitatrice à la création. Passionné, collectionneur, voyageur, musicologue, François Reichenbach était partout et s'intéressait à tout. La légende raconte qu'il était toujours présent au bon moment : lorsqu'il démarrait sa caméra, il se passait un événement imprévisible devant l'objectif. Il tournait avec une aisance inégalable, la caméra était le prolongement de son bras, le viseur son troisième œil et l'image le reflet de son désir, celui de capter des images insolites et poétiques. Sa vie sera sans cesse portée par cette volonté de filmer des corps, des paysages sauvages et des villes, d'enregistrer des sons et des voix. Le talent souvent décrit de François Reichenbach est déjà présent dans cette œuvre fantaisiste. Au début des années 1950, il a réalisé quelques documentaires en filmant Paris, puis New York (Paris qui ne dort pas, Visages de Paris, New York ballade, Impressions de New York, etc.). Autonome avec sa caméra, il imagine une fiction intimiste avec ses quelques amis gays rencontrés aux États-Unis. Ce sera l'occasion de filmer, sans complexe et sans retenue, deux hommes amoureux, enlacés, puis séparés, l'un à la ville et l'autre à la campagne. Sous influence d'un génie du cinéma, Jean Cocteau, mais aussi du cinéma moderne qui se profile en France comme aux États-Unis, il raconte, caméra à l'épaule, sans dialogue, une simple histoire amoureuse, avec son désir charnel, ses moments de solitude, ses rêveries, ses manques et ses doutes. La clandestinité aurait pu encourager le cinéaste à braver les interdits et exhiber ce que l'on ne saurait voir, mais François Reichenbach propose au contraire un conte romantique et pudique. L'image naturelle noir et blanc et le look à la James Dean des deux personnages plongent le spectateur dans un univers semi-documentaire, aux allures de film indépendant, de cette Amérique fascinante et rebelle des années 50. L'image est abîmée et le son malheureusement très dégradé, mais cette curiosité qui n'apparaît dans aucune filmographie de François Reichenbach mérite qu'on la découvre.

Last Spring est accompagné d'un second court métrage, nommé provisoirement Nus masculins. Ce sont des images intimes, muettes et non montées, des amis et compagnons du cinéaste, lors de ses différents voyages, tournées sur de la pellicule inversible 16 mm couleur. Ce type de pellicule procure des tonalités uniques, particulièrement denses et contrastées qui se prêtent aux sujets, vêtus ou dévêtus et qui offrent à nouveau une beauté et une émotion particulières aux plans.

Films oubliés, films retrouvés

Lorsque la Cinémathèque française rend hommage à François Reichenbach en 2015, en proposant une rétrospective de ses nombreux films, elle tire une copie neuve 35 mm de Mexico Mexico (film majestueux, accompagné des commentaires de l'écrivain Carlos Fuentes) et numérise Arthur Rubinstein, l'amour de la vie (Oscar du meilleur film documentaire en 1970). Elle poursuit aussi ses recherches pour mettre la main sur quelques œuvres introuvables. C'est dans ce contexte que la productrice Laurence Braunberger confie à la Cinémathèque ces deux films 16 mm oubliés, perdus parmi de nombreuses boîtes conservées. Les bobines, très fragiles et abimées, seront traitées puis numérisées en 2K (en respectant dans un cas la densité du noir et blanc et, dans l'autre, la beauté des images en couleur), afin de préserver les éléments originaux et faciliter la diffusion des œuvres.


Hervé Pichard est directeur des collections films à la Cinémathèque française.