La caméra Debrie Sinmor 16 mm à son magnétique

Laurent Mannoni - 24 mars 2015

Le Conservatoire des techniques de la Cinémathèque française essaie de reconstituer la gamme complète des grands fabricants et industriels : Pathé, Eclair, Aaton, Debrie, Gaumont… Ce n’est pas un exercice facile, car certaines sociétés ont œuvré pendant plusieurs dizaines d’années et ont produit une grande quantité d’appareils différents. Malgré tout, les lacunes se comblent petit à petit, d’autant que d’autres institutions (le Musée des arts et métiers, la fondation Jérôme Seydoux-Pathé, le musée Gaumont) travaillent dans le même sens.

La Cinémathèque française a eu l’opportunité d’acquérir récemment une caméra Debrie 16 mm à son magnétique, la « Sinmor », dont les caractéristiques s’inscrivent dans une tradition technique assez ancienne. En effet, elle a la particularité d’enregistrer le son (magnétique) sur pellicule. Ce n’est pas une idée nouvelle, comme on peut le constater en visitant les collections techniques de la Cinémathèque française.

Le son magnétique n’est pas encore utilisé en cinéma au début des années 1930, on utilise alors du « son optique ». Le Caméréclair Radio, conçu par l’excellent ingénieur Jean Méry et fabriqué en 1932 par Eclair est le premier appareil portatif français de prises de vues et de sons simultanés. Cette caméra est équipée de deux magasins 35 mm pour les images, et deux magasins 35 mm uniquement pour le son. A l’intérieur, on trouve un dispositif optique sonore (licence Radio Cinéma, système A. Fontanel) donnant sur la pellicule l'image d'une fente lumineuse de 1,5 centième de millimètre d'épaisseur. Un microscope facilite la mise au point. Le modulateur de lumière est un tube de décharges à trois électrodes. La caméra est livrée avec un amplificateur en valise de 35 kg. Elle a beaucoup servi pour les reportages en extérieur, mais aussi en studio. La Cinémathèque et le CNC en conservent deux exemplaires.

Les Américains ont conçu très tôt, de leur côté, des caméras hybrides capables d’enregistrer simultanément images et sons sur la même pellicule. Un exemplaire rare figure dans les collections du CNC : cette caméra 35 mm, attribuée à Mitchell par S. Silka, (Cours d'enregistrement des sons pour le cinéma parlant et le phonographe, Paris, Ecole universelle par correspondance, 1931), est accompagnée de son amplificateur conçu par l’Electrical Research Products Inc., la société qui fabriquait l’équipement du Vitaphone.

L’Américain John Wall continua dans cette voie durant les années 40 en livrant des caméras professionnelles de reportage de ce type (un appareil Wall est conservé dans nos fonds, CNC AP-10-1045). Mais il était tout de même plus sûr, notamment en studio, d’enregistrer le son sur une machine indépendante, comme par exemple celle conçue par le célèbre fabricant allemand Klangfilm.Avec la généralisation du son magnétique, un fabricant américain, Berndt-Bach Inc., commercialisa après guerre, avec succès, plusieurs caméras 16 mm, dite « Auricon », pour reporters. Le son magnétique est inscrit sur la pellicule 16 mm qui porte aussi les images. La Cinémathèque en conserve deux exemplaires, de même qu’une caméra 16 mm à son magnétique fabriquée par Bell & Howell.

La caméra Sinmor Debrie est du même type : enregistrement du son magnétique en bordure des images. Elle est présentée en juin 1962, mais mettra du temps à être commercialisée. Notre exemplaire (n° 90), gainé de cuir gris, est en parfait état.

Dans la caméra Sinmor, une platine, facilement amovible, comportant trois têtes magnétiques, assure l'effacement, l'enregistrement et la lecture-contrôle immédiate de l'enregistrement. On trouve, logé également dans la caméra, un amplificateur d'enregistrement magnétique à 8 transistors (dont 2 de puissance). Cet amplificateur amovible est alimenté sous 6 volts par deux piles torche logées dans la caméra même. Celle-ci comporte une prise micro et une prise pour écouteurs permettant à l'opérateur de contrôler l'enregistrement effectivement inscrit sur la piste magnétique. Cette caméra sans blimp, pesant quand même 9,5 kg, est en principe très silencieuse (le micro peut être placé à 60 cm de la caméra, affirme Debrie qui précise que le mécanisme ne fait « que » 4 décibels). Un voyant rouge automatique s'allume pour déceler la mise en marche de la caméra. Elle est vendue avec un zoom Angénieux 12-120 mm.

Malheureusement, la Sinmor n’eut guère de succès et fut l’une des causes de la fin de l’entreprise d’André Debrie (qui avait pris la succession de son père en 1919). Fin d’une longue et très belle aventure industrielle qui avait débuté en 1900 grâce à Joseph Debrie, le père d’André.


Laurent Mannoni est directeur scientifique du patrimoine à la Cinémathèque française. Il est l'auteur d'une vingtaine d'ouvrages sur les débuts du cinéma et a été le commissaire d'une douzaine d'expositions.