Films grattés et films peints d'Albert Pierru : improvisation sur un air de jazz

Hervé Pichard - 6 juin 2016

Albert Pierru dira en 1956, à propos de son cinéma : « Il y a un point de rencontre immédiat entre la musique de jazz et le cinéma tel que je l’ai conçu dans mes films abstraits. Ce point de rencontre, c’est le rythme. Dans le cinéma, le rythme joue un rôle extrêmement important, il est primordial dans le jazz. Le jazz évoque en nous un tas de sensations, des sensations directes, pures, immédiates. Je voudrais retrouver dans mes films, la même impression, ce dynamisme, cet engouement, cette joie de vivre que l’on sent dans le jazz. »

Amateur de jazz dans les années 50, à une époque où l’improvisation musicale et l’art naïf connaissent leur âge d’or, Albert Pierru, réalise une série de courts métrages qu’il nomme « films sans caméra ». Inspiré par les dessins animés de Norman McLaren, il peint et dessine directement sur la pellicule, gratte l’émulsion et propose ainsi des films surprenants, très colorés et particulièrement rythmés. Les images sont composées de lignes et de formes abstraites ou l’on devine parfois d’étranges personnages, une danseuse, un matelot, des animaux qui se transforment, se mélangent et disparaissent aussi vite qu’ils nous sont apparus. Il aime aussi représenter des instruments de musique, des cordes de contrebasse, qui vibrent et s’accordent aux rythmes cadencés.

Lors des projections organisées par le réalisateur, ses premiers films étaient accompagnés de disques qu’il calait sur son pick-up avant les premières images des films. Malgré un dispositif plutôt artisanal, la synchronisation entre l’image et la musique était précise. Albert Pierru imaginait ses dessins en fonction du tempo, en repérant entre autres, les changements de rythme.

Très vite distingué comme un cinéaste amateur original, quelques-uns de ses films seront produits par Pierre Braunberger et proposés en avant programme. L’ensemble des films permet de découvrir le travail de ce réalisateur discret, entre 1951 et 1957, avant qu’il ne fasse encore évoluer son art vers un cinéma plus réaliste.

Ces films peints et grattés directement sur pellicule 16 mm, retrouvés par le petit-fils du cinéaste dans la cave familiale, sont extrêmement fragiles. Confiés à la Cinémathèque française, il était primordial de les restaurer en prévoyant un retour sur film 35 mm pour une préservation pérenne. Un scan 2K des images et une numérisation des vinyles d’époque, ont été réalisés au laboratoire Digimage. Les films produits par Pierre Braunberger ont, eux aussi, été restaurés à partir des négatifs image et son.


Hervé Pichard est directeur des collections films à la Cinémathèque française.