« Il a bien fallu que naisse un jour le cinéma moderne... » : trois courts métrages inédits de Jacques Rivette

Hervé Pichard - 10 mai 2016

« La vaine recherche : chacun par le mouvement qui le pousse, échappe à l'autre. La réalité se dérobe sans cesse devant eux, qui, toujours, repassent dans leurs pas. » (Jacques Rivette, cahier de notes à propos d'Aux quatre coins)

Les trois premiers courts métrages de Jacques Rivette, Aux quatre coins (1949), Le Quadrille (1950) et Le Divertissement (1952), oubliés depuis plus de 70 ans, ont été retrouvés cette année par Véronique Rivette, sa femme, dans l'appartement du cinéaste. Ils seront restaurés en 2K ce mois-ci par les Films du Veilleur et la Cinémathèque française en partenariat avec la Cinémathèque de Toulouse et le laboratoire Digimage.

Les films restaurés seront projetés pour la première fois au festival Côté court à Pantin, en collaboration avec la Cinémathèque française, le 18 juin, afin de rendre hommage à ce grand maître du cinéma moderne, décédé cette année, le 29 janvier.

Ces premières images, considérées par Jacques Rivette comme des « films d'apprentissage », permettent de découvrir la naissance de son engagement artistique. Avec Aux quatre coins, il propose un dispositif original, qui se distingue déjà de toute forme narrative classique. Lorsque Jacques Rivette réalise son second court métrage, Le Quadrille, coécrit avec Jean-Luc Godard, il adresse une lettre à un distributeur de films new-yorkais, Brandon Films, où il notera : « Il m'est assez difficile de définir en quelques mots ce que j'ai voulu faire ; mon premier dessein étant de réaliser un film sans scénario, qui aurait prouvé que l‘“histoire” n'a au cinéma aucune valeur essentielle et que des actes purs, sans référence à quelque anecdote, sont en eux-mêmes aussi intéressants que s'ils se rapportaient à une intrigue qui les oblige à n'être plus que des étapes de son déroulement : le fait simple de fumer acquiert alors une importance aussi grande que, dans un film policier, celui de tuer un homme »1. On découvre aussi comment en trois films le cinéaste commence progressivement à maîtriser l'art de la mise en scène et du découpage. Le Divertissement, tourné dans les jardins parisiens et sur la terrasse d'un immeuble, augure les nombreuses promenades labyrinthiques qui accompagnent son cinéma, où les personnages se cherchent, se suivent et se retrouvent, sous la forme de jeux de piste amoureux.

Ces premières expériences sont muettes. Le Divertissement et Le Quadrille possèdent des cartons entre les plans décrivant les histoires, annonçant le ton et la poésie singulière du cinéaste. Aux quatre coins ne possède pas de carton, mais des images noires entre certains plans. Jacques Rivette propose d'autres formes visuelles intrigantes, encourageant ainsi le spectateur à imaginer sa propre histoire.

Tournés en 16 images par seconde sur pellicule inversible noir et blanc 16 mm, les trois films sont particulièrement fragiles. Aux quatre coins et Le Divertissement existent sur leur support original, avec des collures entre chaque plan qu'il est nécessaire de manipuler avec beaucoup de précautions. Concernant Le Quadrille, l'élément source restant introuvable, la copie (de deuxième génération) est, elle aussi, le seul élément en notre possession. Malgré une diffusion inexistante, on compte de nombreuses rayures certainement dues aux manipulations de montage très artisanales et aux quelques projections faites à la fin des tournages (à l'époque, Le Quadrille a été projeté dans le cadre du Ciné-club du Quartier latin). Il s'agit, lors de la restauration, de conserver les films en respectant leur forme originale, soulignant la fragilité et l'empreinte argentique des éléments retrouvés.

La société Les Films du Veilleur fera les démarches auprès du CNC pour sauvegarder les films restaurés numériquement sur un support argentique 35 mm afin de les préserver de façon pérenne.


  1. La lettre entière de Jacques Rivette à Brandon Films paraîtra prochainement dans la revue Trafic.

Hervé Pichard est directeur des collections films à la Cinémathèque française.