Revue de presse de « Longue vie à la signora » (Ermanno Olmi, 1987)

Véronique Doduik - 30 mars 2015

Longue vie à la signora

Tourné en 1987, Longue vie à la signora marque une inflexion dans la carrière d’Ermanno Olmi. Avec ce film, d’une inspiration très différente de ses œuvres précédentes, le cinéaste aborde un registre résolument fantastique.

Un huis clos théâtral

Les critiques soulignent d’emblée le parti-pris théâtral du film. Le cinéaste a respecté les règles du théâtre classique : « Unité de temps, de lieu, d’action : Olmi nous enferme dans son château-hôtel comme il y enferme ses jeunes apprentis » (Les Échos). Longue vie à la signora, c’est l’histoire d’un dîner fastueux réunissant autour d’une vieille dame richissime quelques convives de la haute société de la politique, de la finance et de l’industrie. « Olmi ne nous donne guère d’informations sur les raisons de la fête ni sur l’état civil des participants. C’est qu’il offre au spectateur le point de vue d’un jeune serveur intrigué sans le comprendre par le cérémonial du repas. Ils sont six élèves d’une école hôtelière italienne engagés à titre d’extras pour cette soirée mémorable », écrit La Croix. La presse apprécie ce choix de mise en scène : « Une micro société, impitoyable, s’ébroue ainsi sous nos yeux, traquée par l’œil-caméra, précis et rigoureux, du réalisateur » (Cinéma). L’Evénement du Jeudi note que « toute la force du film et son insidieuse magie reposent sur la confrontation de ceux qui servent et de ceux qui sont servis. Monde des adultes repus et cyniques et monde émerveillé de l’enfance ».

Des figures allégoriques

Le style allégorique du film est très remarqué. « La signora, très vieille femme, cadavre ambulant voilée de noir, qui préside le dîner sans toucher à un seul plat, est-ce le pouvoir ? L’argent ? La mort ? », s’interroge Annie Coppermann dans Les Échos. À l’autre pôle du film se trouve le jeune serveur, « cet enfant maladroit qui incarne la fraîcheur, l’innocence, la pureté » selon L’Humanité. Pour Anne Kiefer (Jeune Cinéma), « On retrouve l’opposition [chère à Olmi] entre la pureté de la jeunesse et la corruption des adultes. Olmi dépeint l’horreur du pouvoir sous les traits de la vieillesse ». La journaliste regrette toutefois la froideur de cette allégorie : « Le parti-pris d’Ermanno Olmi à ne filmer que des visages vides et habités par rien, lasse vite. La galerie de portraits ennuie, elle tourne à vide ». L’Humanité Dimanche, sous la plume de Claude Sartirano, rappelle que « le cinéma est affaire de style. [Olmi] s’en tient aux gestes, au décor, ses personnages portent les masques, jusqu’à la caricature, d’une nouvelle commedia dell’arte. On retrouve l’expressivité, la rigueur aussi du cinéma muet pour un film paradoxalement éloquent ». Télérama souligne que « la force d’Olmi, c’est de ne jamais sombrer dans l’outrance. La caricature existe, certes, mais la mise en scène élégante et fluide, qui s’appuie tout au long du repas sur une impeccable musique de Telemann, refuse tous les excès ». Le Quotidien de Paris conclut que « si Olmi n’a ni l’insolence diabolique de Buñuel, ni le génie de la caricature fellinien, ce cinéaste rare, a un don magnifique de la transcendance ».

Un climat fantastique

Les critiques sont pour la plupart conquis par l’atmosphère fantasmagorique du film : « Deux heures durant, Olmi maintient ce climat d’étrangeté où la mise en place des couverts à poisson terrorise comme chez d’autres l’apparition d’une tronçonneuse, où le moindre manquement à l’étiquette fait figure de gag-catastrophe à la Laurel et Hardy. Sur la corde raide, du grand art », écrit Le Point. Le Canard enchaîné renchérit : « Réglé comme un ballet fantastique, Ermanno Olmi nous régale avec ce banquet surréaliste et terrifiant. C’est complètement fou, drôle et tragique à la fois ». 7 à Paris se risque même à certains rapprochements : « C’est les bijoux de la Castafiore tourné par Hitchcock, Les Disparus de Saint-Agil revus et corrigés par Buñuel ».

La critique sociale

La satire sociale, sujet principal du film, revient souvent sous la plume des chroniqueurs. « L’histoire de ce dîner de gala, qui réunit, autour d’une douairière momifiée, quelques prédateurs internationaux, est traité comme une métaphore insolite et inquiétante du monde contemporain », note L’Evénement du Jeudi. « On est envoûté par les images de cette parabole sur le pouvoir où Olmi compose un magistral ballet de maîtres et de valets », ajoute Le Monde. « Ce repas-là est hautement symbolique – et la fin du film en donne la clef, qui est celle de la liberté et de la vie, la vraie, loin de la mortifère Signora » (Cinéma). Le film incite assurément à une lecture politique. Pour Le Quotidien de Paris, « Olmi garde un point de vue marxiste. C’est bien la lutte des classes et l’exploitation de l’homme, poussées à l’absurde dans nos sociétés, qu’il nous donne à voir ». Le Monde apprécie aussi le caractère caustique du film : « C’est sinistre et désopilant. Grâce à un ingrédient revigorant, inédit dans l’œuvre rare et exemplaire d’Ermanno Olmi : la méchanceté ». Ce n’est pas l’avis de Paul-Louis Thirard qui, dans Positif, reproche à Olmi un certain manque de férocité : « il y a dans la façon dont l’œil étonné de Libenzio (le jeune serveur) croit percevoir certains mystères, une invite, une amorce, une esquisse de quelque chose en plus, un soupçon kafkaïen. C’est tellement allusif que c’en est finalement un peu décevant ». Les Cahiers du Cinéma vont encore plus loin : « Plus cela va et plus le pseudo-réalisme des premiers films s’estompe au profit de la gentillesse sucrée (L’Arbre aux sabots) ou de la parabole biblique à peine déguisée (À la poursuite de l’étoile). Ici, nous en sommes à la métaphore lourde et pesante, doublée de relents de la comédie à l’italienne dans ce qu’elle a de plus discutable… À la comédie italienne, Olmi emprunte le grossissement des traits, la caricature des personnages de la haute société et la mise en relation des classes sociales. Mais Olmi n’a pas le talent comique naturel d’un Risi ou d’un Scola, ni le sens du délire poétique d’un Fellini ». « La fantaisie, même philosophique, ne convient pas à l’auteur de L’Arbre aux sabots », conclut Le Nouvel Observateur.

Virtuosité de la narration

Si certains reprochent au film sa longueur (« Le dîner auquel nous soumet Olmi est bien long », note Le Nouvel Observateur), la plupart rendent hommage à la maîtrise narrative d’Ermanno Olmi : « Artisan modèle d’un cinéma silencieux qui s’attache aux gestes naturels, jamais Olmi n’avait poussé aussi loin son don de la transparence, sa connaissance des équilibres secrets, des valeurs cachées, avec une telle maestria. La force d’expression de Longue vie à la signora est quasiment picturale » s’enthousiasme Le Quotidien de Paris. Jeune Cinéma nuance cette opinion : « Les retours dans le passé de Libenzio et sa course dans la prairie sont les quelques beaux moments où Olmi renoue avec la fragilité des êtres et le sens de l’espace. Pourquoi a-t-il été si avare de ces ponctuations ? ». En conclusion, même si la presse est divisée sur la qualité de Longue vie à la signora, La Revue du cinéma résume bien l’impression générale en écrivant : « Nous découvrons avec ce film un nouvel Olmi qui ne renie rien pourtant de l’ancien ».


Véronique Doduik est chargée de production documentaire à la Cinémathèque française.