La restauration d'« Adieu Bonaparte » de Youssef Chahine

Hervé Pichard - 25 avril 2016

« Il ne suffit pas d’aimer le cinéma. Pour faire du cinéma, vraiment, il faut l’aimer profondément et ça prend un temps fou. L’image n’est pas facile, le montage n’est pas une chose aisée, rien n’est facile. Mais l’essentiel, pour moi, est de ressentir excessivement, profondément, que c’est le seul langage que je connaisse. »
Intervention de Youssef Chahine à Cannes en 1998

« Il y a quelque chose d’héroïque dans cette façon de traiter les scènes d’action (batailles, bavures, révoltes) comme des scènes d’intimité et ces dernières (brouilles, scènes de ménage, ruptures) comme des scènes de batailles. C’est ce qu’il y a de plus beau dans le film : une sorte de hâte respectueuse. »
Serge Daney, Libération, 17 mai 1985

Adieu Bonaparte, sur les traces de l’Égypte moderne

En 1985, le plus célèbre des cinéastes égyptiens, Youssef Chahine, réalise son 28ème long métrage, une coproduction franco-égyptienne sur la campagne napoléonienne. Adieu Bonaparte, en apparence une fresque historique, offre avant tout un portrait intime du général Caffarelli, amoureux des sciences et du peuple égyptien. Ce personnage, unijambiste et extravagant, au rire franc et moqueur, dénoncera cette guerre d’occupation et s’opposera à un Bonaparte austère et ambitieux. Le réalisateur dirige ainsi deux des plus grands acteurs français, Michel Piccoli et Patrice Chéreau, dans des rôles de compositions bien différents mais drôles, extravagants et charismatiques. Il dirige et révèle aux occidentaux des acteurs égyptiens talentueux dont Mohsen Mohieddin qui interprète un jeune poète, fils de boulanger. Ce dernier prend conscience de ses engagements et de ses sentiments partagés pour l’homme érudit et pour la colère de son peuple. Il incarne, avec son frère cadet, une jeunesse égyptienne curieuse, sensible et révoltée.

Comme souvent, Youssef Chahine utilise le regard, la musique et la parole pour transmettre ses émotions. Loin des discours guerriers, son regard amoureux n’a jamais été aussi intense que dans ce film. Il aime capter les yeux enchanteurs de ses acteurs qui se cherchent et se scrutent mutuellement, comme des premiers gestes charnels et sensuels. Il aime aussi le dialogue et le débat, lui qui n’a eu de cesse de dénoncer l’obscurantisme. Le passage régulier de la langue française à la langue arabe participe pleinement à la beauté du film. Cette liberté de parole offre un ton unique, quelques fois grave, quelques fois doux. Ainsi ce regard et ces voix croisés sur deux mondes et deux cultures divergentes seront l’occasion pour Chahine de s’opposer à nouveau aux idées reçues, de raconter sa vision historique, très personnelle, de l’Égypte, celle d’hier, lors des campagnes napoléoniennes mais aussi une autre, plus contemporaine, qui cherche justement à affirmer sans cesse son identité.

La restauration

Adieu Bonaparte a été restauré par Misr International Films, TF1 Studio et la Cinémathèque française avec le soutien du CNC, du Fonds Culturel Franco-Américain (DGA-MPA-SACEM-WGAW), des Archives audiovisuelles de Monaco et de l’Association Youssef Chahine.

Adieu Bonaparte est un film relativement récent, comparé aux œuvres restaurées par la Cinémathèque française. Les éléments originaux ont cependant plus de trente ans et les nombreuses manipulations que l’on retrouve généralement sur les films largement diffusés ont endommagé les supports d’origine et causé de nombreuses rayures et quelques déchirures. Le négatif d’Adieu Bonaparte a été scanné en 4K par immersion au laboratoire Éclair Ymagis, afin de conserver au mieux la qualité photographique des images et d’éliminer les rayures superficielles. Les défauts plus importants ont été traités image par image. L’étalonnage, se référant aux copies d’exploitation d’époque, permet de se rapprocher en numérique des couleurs et de la densité lumineuse soigneusement travaillées par le chef opérateur du film, Mohsen Nasr.

Les bandes magnétiques sonores, utilisées pour la restauration du son monophonique, sont des supports particulièrement fragiles qui résistent peu à l’usure du temps. Conservées dans leur laboratoire d’origine, elles ont permis de retrouver la très bonne qualité sonore de la version originale, mêlant les voix françaises et arabes. Elles ont été numérisées au Studio L.E. Diapason avec lequel la Cinémathèque collabore régulièrement sur de nombreuses restaurations sonores.

Les travaux de restauration image et son ont été réalisés selon les normes préconisées par le CNC et la Cinémathèque française, impliquant un retour sur film 35 mm et une préservation pérenne des éléments argentiques.

Présenté à Cannes Classics en mai 2016, Adieu Bonaparte annonce une campagne importante de restauration de l’ensemble des films de ce grand cinéaste égyptien, aussi bien des œuvres incontournables comme Gare centrale, Le Destin ou Alexandrie encore et toujours que des titres plus anciens, plus fragiles et tout aussi intrigants : Les Eaux noires, Ciel d’enfer… Ces restaurations seront menées par plusieurs institutions françaises et internationales. De même, une grande partie des archives de Chahine : photos, manuscrits, scénarios annotés, dessins, actuellement conservées à la Cinémathèque, font l’objet d’un ambitieux plan de sauvegarde. Ces initiatives permettront de redécouvrir, dès 2018, à la Cinémathèque française, l’intégralité de l’œuvre de ce cinéaste épris de son pays, de son histoire et de son peuple.

La restauration a été supervisée par :
Céline Charrenton (TF1 Studio),
Marianne Khoury (Misr International Films),
Hervé Pichard (La Cinémathèque française).


Hervé Pichard est directeur des collections films à la Cinémathèque française.