Revue de presse de « Tueurs de dames » (Alexander Mackendrick, 1955)

David Duez - 15 février 2016

The Ladykillers (Mackendrick)

Premier film en couleur d’Alexander Mackendrick, Tueurs de dames, sorti le 3 février 1956, est produit par la Rank films sur un scénario de William Rose. Celui-ci est célèbre pour ses nombreuses comédies à succès, notamment Geneviève d’Henry Cornelius ou encore Maggie, précédent film du cinéaste écossais. Plébiscité autant par la critique que par le public, ce cinquième long métrage du réalisateur se voit doublement auréolé lors de la neuvième cérémonie des BAFTA en 1956, du prix du meilleur scénario et celui de l’interprétation féminine.

Conduite par le professeur Marcus (Alec Guinness), une bande de cinq gangsters trouve refuge dans une pension londonienne, tenue pour leur plus grand malheur par une « charmante vieille dame anglaise », gracieuse, digne, téméraire et « délicieusement inconsciente » (France-soir). Les critiques se rangent derrière la mascotte hilare de Radio-Cinéma-Télévision : « Meilleur film que l’Angleterre nous ait envoyé depuis deux ans » (Carrefour), cette « éclatante réussite » (Écrans de France), à la fois « cocasse » et tordante (Témoignage chrétien) est, pour L’Express, « d’une classe analogue à celle de Noblesse oblige [le grand succès du réalisateur Robert Hamer sorti en 1949] ».

Un humour britannique

Les comédies britanniques ont le don d’amuser spectateurs et critiques français, toujours friands d’humour décalé. « Très anglais, très digne, d’un flegme si fin que plus il y a de cadavres plus on s’amuse », Tueurs de dames obtient les faveurs du Figaro. Dans les colonnes du quotidien, Louis Chauvet trouve une explication dans les récents succès comiques en France : « Les cinéastes d’outre-Manche, écrit-il, [détiennent] à peu près seuls le secret de ces nuances allègres », qui ont fait les grandes heures du théâtre parisien du Grand-Guignol, dont le répertoire mêlait allégrement épouvante, suspense et éclats de rire. Pour Le Canard enchaîné, O’Picratt partage l’avis de son confrère : « L’humour britannique est tout à fait à son aise quand il fait coexister le meurtre, considéré comme l’un des beaux-arts, avec la réalité quotidienne ». Crime, humour et vieille chose… pourrait résumer Jean Dutour du quotidien Carrefour. Sous le titre « Gérontophilie amusante », le journaliste précise que « les Anglais ont une prédilection marquée pour les vieilles choses : vieux train (Tortillard pour Titfield), vieille auto (Geneviève), etc. Cette esthétique de la vieillerie est exaspérante et dénote un détestable état d’esprit. La gérontophilie est l’une des passions les plus funestes qui puissent s’emparer d’une nation vieille et affaiblie. Ici, toutefois, elle est aimable », reconnaît-il. Elle s’incarne dans le personnage d’une vieille dame londonienne aux charmes très aristocratiques, et, « conjugué[e] avec quelques scènes très réussies de comique macabre, rappelle heureusement Noblesse oblige ». Artisan d’un « humour pour esthètes et fins connaisseurs en matière d’épouvante, de tueurs, de vieilles dames qu’on n’arrive pas à assassiner, et d’immoralité », Mackendrick signe avec Tueurs de dames un film pour « spectateur intelligent », savoure Simone Dubreuilh de Libération.

Une parodie de Film noir

Cette parodie de Film noir subjugue la critique française. « Tous les éléments sont réunis pour faire de cette histoire un film de suspense et d’horreur : inquiétants visages, mystérieuses voitures, attaque de camion blindé, pas dans la nuit, poursuite sur les toits, trains obsédants – et l’on ne cesse de rire », se délecte Jean-Louis Bory dans la version quotidienne de L’Express. Avec Tueurs de dames, « Mackendrick joue à fond l’humour noir, s’inspirant même du film de terreur où le suspense est maître. Le tout est arrosé de piment de plus haut comique », peut-on lire dans la revue Écrans de France. « Par principe, le spectateur aime l’anormal et cette fois, comme un enfant, il demande au réalisateur de lui faire peur en le convainquant d’avance que rien de grave n’arrivera », apprécie l’organe de la Fédération de Ciné-clubs Film et Famille, qui concède toutefois, en fin de critique, que « le thème et l’humour ne seront pas toujours à la portée des enfants ». « On pourrait à la réflexion trouver grinçant cet humour qui apparaît par son champ d’action, franchement tourné vers le noir. Je crois qu’il faut y prendre plutôt une pinte de bon sang sur le compte des films de gangsters qui n’ont jamais eu droit, sous cette forme, à une parodie aussi agressive », remarque Georges Marescaux dans L’Humanité. La Grande-Bretagne a trouvé en la personne d’Alexander Mackendrick son Hitchcock de la comédie, mais un Hitchcock qui n’est « pas contaminé par les éloges et la facilité », précise Libération.

Un film à quatre mains

Pour la critique, réalisation et scénario sont les deux atouts majeurs de Tueurs de dames. Menée de main de maître par le duo Rose/Mackendrick, cette nouvelle comédie charme littéralement José Zendel. Pour le journaliste des Lettres françaises, « William Rose (…) écrit ses sujets d’une plume inventive et humoristique », et Mackendrick les réalise de la même manière, « Tout cela nous assure à l’avance d’un plaisir double, assez analogue à celui du spectateur d’un match de tennis de table… Pendant environ une demi-heure de projection, l’impulsion donnée à la balle l’est mollement… et puis, tout à coup, l’action se resserre, le jeu s’anime ». Pour Jean d’Yvoire de Radio-Cinéma-Télévision, « Tueurs de dames, tout en procédant [d’une] inspiration déjà classique, y ajoute les ressorts ordinaires du vaudeville de façon modernisée. Mécanisme fort bien monté, dont les multiples détentes jouent avec la régularité d’une horloge pour s’annuler finalement au plus grand profit de la tranquillité générale ». Même si « on peut [lui] reprocher sa technique un peu lente et ses ficelles compliquées », force est de constater qu’elles font rire, admet André Lang dans France-soir. Dans le cas de Tueurs de dames, rire tient bien du miracle, note Roger Fressoz de Témoignage chrétien, « alors que d’un bout à l’autre sont employés les procédés les plus classiques et les plus impressionnants du film de terreur ». « Il faut, en tout cas, insiste le critique, une singulière maîtrise et un rare génie parodique pour garder le bon et éviter les fausses notes dans ces sortes d’entreprises : Alexander Mackendrick possède en abondance cette double qualité ». Illusionniste, Mackendrick invite les spectateurs à jouer avec les codes et les genres cinématographiques. Si le réalisateur « s’attendrit souvent », constate Rodolphe-Maurice Arlaud du journal Combat, il glisse dans son film « un croquis, circule logiquement et sereinement dans un univers dont il a très souvent faussé la mécanique au départ, [joue] d’un presque réalisme pour conduire à la semi-loufoquerie et, chef d’orchestre futé, semble donner la parole » à ces joyeux bras-cassés, pour surprendre une nouvelle fois son public.

Cinq tueurs et une vieille dame

Cinq visages, blafards et inquiétants, se disputent l’affiche et les encarts publicitaires de Tueurs de dames. Alec Guinness, Cecil Parker, Herbert Lom, Peters Sellers et Dany Green composent cette improbable troupe de malfrats, les meilleurs étant, d’après Max Favalelli de Paris-presse, « Cecil Parker, un faux major à moustache rousse d’une dignité parfaite, et Danny Green, une brute au cœur tendre qui ignore l’usage des serrures ». Lieutenant de la bande, Alec Guinness « s’en donne à cœur joie dans un rôle de composition, comme il les affectionne », note Jean de Baroncelli du Monde. Pour tenir tête à ce gang, les spectateurs peuvent compter sur le premier rôle féminin. Une fois de plus, Mackendrick pousse la parodie à son comble. Au contraire des Films noirs classiques, Tueurs de dames ne compte aucune femme fatale, pin-up ou autres starlettes. « La véritable triomphatrice de Tueurs de dames, c’est… la dame elle-même ! Kathie Johnson, une actrice de 77 ans… [qui] mérite à elle seule le déplacement. Ses mines gentilles, ses airs perdus, son inaltérable sérénité, tout la désigne à notre louange », applaudit Jean Rochereau dans La Croix. Et Max Favalelli invite à la suivre, « trottinant sur ses menus talons et balançant son ombrelle. Elle vous livrera ces Tueurs de dames qui nous ferons mourir. Mais seulement de rire ».


David Duez est chargé de production documentaire à la Cinémathèque française.