Revue de presse de « L'Homme au complet blanc » (Alexander Mackendrick, 1951)

David Duez - 15 février 2016

The Man in the White Suit (Mackendrick)

Produit par les studios londoniens d’Ealing (Noblesse oblige, Passeport pour Pimlico), L’Homme au complet blanc, seconde comédie d’Alexander Mackendrick, est l’adaptation d’une pièce éponyme du dramaturge écossais Roger MacDougall. Satire de l’économie de marché, le film suit les mésaventures d’un jeune savant, campé par Alec Guinness, dont l’invention – un textile imperméable aux tâches et inusable – mécontente tout à la fois direction et ouvriers de son entreprise. Coïncidence, une publicité des établissements Bernard Esders ventant : « Le premier vêtement indéformable surperform », barre la Une du journal Le Monde, une semaine après la sortie du film le 20 mars 1952.

De manière générale, Mackendrick retrouve le succès critique de son premier long métrage, Whisky à gogo (1949). Artisan de chef d’œuvre, de ce « brillant film-spectacle » (Combat), Mackendrick donne à voir « du mouvement, de l’esprit, de l’humour. Une réalisation parfaite », chaudement recommandée, par L’Éducation nationale, « pour adultes et pour enfants de plus de 14 ans ».

Une filiation prestigieuse

De Chaplin à René Clair (À nous la liberté, C’est arrivé demain), en passant par Vittorio De Sica (Miracle à Milan), Alexander Mackendrick profite, selon la presse, d’une filiation prestigieuse. Si le sujet et son traitement apparentent L’Homme au complet blanc aux Temps modernes, le cinéaste britannique, à la fois « ironique et pitoyable », s’est bien gardé d’éviter, selon André Lang de France-soir, de reproduire la grande erreur du père de Charlot : un prêche, moralisateur et ennuyeux. Tout comme son confrère, Jean d’Yvoire de Radio-Cinéma-Télévision préfère relever une parenté avec René Clair, caractérisée par « la rigueur dans le développement du scénario, celle qu’on pouvait admirer, par exemple dans C’est arrivé demain. L’ossature du récit est vigoureuse, chaque pièce charpentée avec une solidité telle que toutes les contorsions du récit, au gré des gags successifs, ne sauraient en altérer l’équilibre ».

Une satire sociale

Satire sociale, L’Homme au complet blanc a tout du « conte voltairien », titre Les Cahiers du Cinéma. Ici, « c’est la société qui est comique, c’est elle qui se met en contradiction avec elle-même », écrit Jean-Louis Tallenay dans la revue. Whisky à gogo tenait d’un « conte d’Alphonse Allais » ; deux ans plus tard, le cinéaste écossais puise son inspiration chez Voltaire, pour signer un film certes « moins drôle (…) mais plus profond » que le précédent, estime le journaliste. Si Mackendrick « nous montre le savant aux prises avec la bêtise et l’argent ligués, le ton n’est pas larmoyant », rassure Claude Garson, dans les colonnes de L’Aurore, pour qui « ce film prouve, une fois de plus, qu’il n’est pas nécessaire d’employer le ton docte, et par la même ennuyeux, pour nous montrer les choses les plus dures, les plus tristes ». Pour la revue Téléciné, qui donne à lire la critique la plus détaillée, « la portée du film est double ». Selon Claude-Marie Tremois, le réalisateur propose, d’une part « une histoire quasi-analogue à celle du bas nylon : certaines paires laissent à désirer ; les mailles filent le premier jour » ; de l’autre, « le drame de l’individu face à la société, le drame de la solitude de l’homme ».

Une drôlerie continuelle

La grande majorité de la presse salue la réalisation. Jean-Jacques Gauthier célèbre, dans le Figaro, « le travail exceptionnel de mouvement, d’invention, de drôlerie continuelle », fourni par le metteur en scène. « L’ouvrage, poursuit-t-il, file à bride abattue sans que jamais le spectateur ait le temps de reprendre son souffle. Un gag accroche l’autre et le premier s’achève à peine que le second est là ». De même dans Combat, Rodolphe-Maurice Arlaud précise que L’Homme au complet blanc est le parfait « exemple d’une réalisation où le scénario est seul vedette, l’intelligence des autres étant précisément de le servir totalement. Les scénaristes ont tout apporté, tant dans l’idée-drame que dans l’assaisonnement aux scintillements comiques ». Ce ressort comique repose sur un gag sonore et récurrent – des borborygmes – qui fait rire les critiques. « Il me paraît impossible de passer sous silence une trouvaille, d’ordre auditif, dont l’effet comique est irrésistible », peut-on lire dans Paris-presse. Pour le quotidien, Robert de Thomasson savoure cette « alternance de glouglous sur trois notes, toujours les mêmes, d’un pouvoir hilarant auquel je mets au défi de résister le spectateur le plus morose », affirme-t-il avant d’indiquer : « Cette musique a déjà été enregistré sur disque sous le titre de Samba du complet blanc », et de lui prédire « un grand succès et pas seulement auprès des mélomanes ».

Qualité de l’interprétation

Les deux interprètes principaux du film, Alec Guinness et Joan Greenwood, sont plébiscités par la critique. « Les Anglais de la vieille Angleterre ne parlent jamais plus qu’il n’en faut. Alec Guinness bat ses propres records de finesse. Sous son complet blanc, immaculé, il devient le plus clair et le plus subtil des symboles », explique André Lang dans les pages de France-soir. Après une interprétation remarquée dans Le Moineau de la Tamise, un drame en costume de Jean Negulesco, Alec Guinness retrouve la comédie. « L’Homme au complet blanc, c’est [lui], le Fregoli de Noblesse oblige, le mystificateur de Vacances sur ordonnance, l’employé modèle et chef de bande de De l’or en barres », jubile Jean d’Yvoire qui poursuit pour Radio-Cinéma-Télévision : « C’est dire la qualité de l’interprétation, son allègre et sympathique jeunesse nous enchantent. Ici, comme dans la première de ces œuvres, on retrouve avec joie les sourires équivoques et cruellement malicieux de Joan Greenwood au milieu d’une équipe admirablement dirigée et convaincue ».

Grand écart

La vue de L’Homme au complet blanc laisse perplexes trois titres de la presse. « Ce drame est excellent mais à force de tirer sur le fil de l’humour on finit par l’étirer… en longueurs », écrit Donald Duck du Canard enchaîné. Dans Les Lettres françaises, un trop grand écart entre éclats de rires et critique sociétale irrite Jean Thevenot, qui reproche ainsi à « L’Homme au complet blanc [de n’être qu’] assez drôle, c’est-à-dire de ne l’être pas davantage ou pas moins…, ni grosse farce à la Whisky à gogo, ni sérieux pour un sujet grave [le chômage] ». Enfin, Le Monde fustige tout à la fois un fond « atrocement conformiste sous ses apparences audacieuses », ainsi qu’une « morale britannique (…) toujours contente de ses fausses audaces ».


David Duez est chargé de production documentaire à la Cinémathèque française.