Louis Delluc, un impressionniste en éclaireur

Samantha Leroy - 1 février 2016

Le Chemin d' Ernoa (Delluc)

Louis Delluc, un impressionniste en éclaireur

Pionnier de la critique de cinéma, inventeur du terme « cinéaste » et cinéaste lui-même, acteur du premier mouvement d’avant-garde cinématographique en France, auteur de nombreux textes littéraires (romans, poèmes, pièces de théâtre) et critiques, Louis Delluc a révélé, commenté et exploré la nécessité esthétique dans l’expression du Septième art, avant de disparaître prématurément en 1924, à l’âge de trente-trois ans. Sa rencontre en 1913 avec Ève Francis est déterminante. Comédienne de théâtre bruxelloise, proche de Paul Claudel, elle devient son épouse, sa muse, l’interprète de prédilection de son œuvre. Alors collaborateur à la revue Comœdia illustré, pour laquelle il écrit principalement sur le théâtre, Delluc exècre le cinéma, mis à part sa curiosité pour Chaplin et Max Linder. En 1916, Ève Francis lui fait découvrir Forfaiture de Cecil B. DeMille (1915), qui bouleverse radicalement sa vision et finit de le convaincre de s’y intéresser. Il se consacre désormais à la critique cinématographique et devient cinéaste et producteur. Il fonde le Journal du Ciné-club, la revue Cinéa et les ciné-clubs. Pour Henri Langlois, il est « le conducteur, le prophète que le cinéma attendait ; chacun de ses articles était un bulletin de victoire marquant, film après film, les étapes de la découverte et de l’initiation aux règles du nouvel art. »

Ève Francis lui inspire de nombreux projets de films, à commencer par le scénario de La Fête espagnole (1919), réalisé par Germaine Dulac (Delluc étant mobilisé) et dont il ne subsiste que quelques fragments. De cette première œuvre découlent sept autres films réalisés avec fulgurance : Fumée noire, Le Silence, Le Chemin d’Ernoa (1920), Fièvre, Le Tonnerre (1921), La Femme de nulle part (1922) et L’Inondation (1923). Delluc s’applique à y révéler la « photogénie » : l’expression par l’image de la psychologie des personnages – fondement même du cinéma – et aborde des thèmes simples et récurrents : des êtres en proie aux démons du passé, la déchirure entre le réel et le fantasme. Admiratif des films produits par la Triangle de Douglas Fairbanks, D. W. Griffith, Thomas Ince et William Hart, et plus particulièrement de Pour sauver sa race (1916), il prône, en opposition à un cinéma narratif et romanesque représenté par Louis Feuillade, un retour à la nature, au sens de nature morte, c’est-à-dire toute matière qui donne corps à la dramaturgie. Le décor ne se résume pas à une toile de fond pittoresque, il est rigoureux et participe de manière à la fois réaliste et symbolique à l’intrigue. En cela, Delluc se rapproche des cinéastes suédois Victor Sjöström et Mauritz Stiller, dont il loue les films ingénieux et délicats, notamment Les Proscrits (1918), Le Trésor d’Arne (1919) et La Charrette fantôme (1921). Il apparaît comme le chef de file de la première avant-garde française des années 1920 – l’école impressionniste – qui rassemble Abel Gance, Jean Epstein, Germaine Dulac, Marcel L’Herbier, René Clair.

Son œuvre, brève mais néanmoins prolifique, a laissé une empreinte indélébile dans la critique cinématographique française. Depuis 1937, le Prix Louis Delluc récompense chaque année « le meilleur film français  », en tentant d’allier exigence artistique, singularité de style, vision d’auteur et reconnaissance publique.


Samantha Leroy est chargée de valorisation à la Cinémathèque française.