Sherlock Holmes : un film disparu depuis cent ans retrouvé à la Cinémathèque française

Céline Ruivo - 9 décembre 2015

Longtemps considéré comme perdu avant qu'une copie soit miraculeusement retrouvée en 2014 par la Cinémathèque française, le Sherlock Holmes de William Gillette constitue une pièce essentielle dans les représentations du héros de Conan Doyle à l'écran. Restauré par le San Francisco Silent Film Festival et la Cinémathèque française, le film sort en DVD et Blu-ray chez l'éditeur américain Flicker Alley.

Un film disparu depuis cent ans

Considéré comme définitivement perdu depuis sa première exploitation, ce film représente une adaptation majeure des aventures du héros de Sir Arthur Conan Doyle pour les « holmésiens » ou les « sherlockians » (les holmésiens, ou holmesians, sont les personnes passionnées par tout ce qui a trait à Sherlock Holmes et qui veulent partager leur passion. Les sherlockians sont similaires mais ils sont plutôt américains).

La mise en scène de Berthelet reprend la pièce américaine Sherlock Holmes de William Gillette (1853-1937), laquelle a connu un immense succès dans le monde entier entre 1899 et 1932. William Gillette était aussi un acteur de renom qui a incarné le détective sur scène pendant près de trente ans, et qui reprend son rôle dans cette adaptation cinématographique. Tout en étant la seule trace de la performance de l'acteur, ce film permet aussi de découvrir les créations apocryphes de celui-ci, qui semblent s'être inscrites presque naturellement dans la mémoire collective en devenant des archétypes holmésiens. En effet, Gillette a notamment ajouté des accessoires particuliers qui s'écartent des textes originaux comme la pipe courbée (une pipe en écume de mer qui a elle même progressivement mué en calebasse selon les adaptations filmiques ou visuelles, tandis que dans les romans, Sherlock fume plutôt des pipes droites. ), ou bien une canne, qui furent repris dans des illustrations américaines d'époque, et que l'on retrouvera aussi dans des adaptations cinématographiques ultérieures.

C'est aussi à lui que l'on doit la fameuse réplique « Élémentaire, mon cher Watson ». Son adaptation théâtrale en quatre actes, qui avait été relue et cosignée par Conan Doyle, entremêle plusieurs romans et nouvelles publiées par le grand écrivain : A Scandal in Bohemia (Un scandale en Bohême), The Final Problem (Le Problème final), A Study in Scarlet (Une étude en rouge), The Sign of Four (Le Signe des Quatre), The Boscombe Valley Mystery (Le Mystère du Val Boscombe) et The Greek Interpreter (L'Interprète grec). Gillette écrira également en 1905 une seconde pièce intitulée The Painful Predicament of Sherlock Holmes, mais qui ne sera pas intégrée dans le film d'Essanay. Le film, quant à lui, se présente sous forme de série comprenant quatre épisodes : Les Lettres du prince héritier, Moriarty contre Sherlock Holmes, Une nuit tragique, Le Triomphe de Sherlock Holmes.

Le projet de restauration du film

L'élément qui a été retrouvé à la Cinémathèque française est un contretype nitrate complet qui, à ce jour, s'avère être unique au monde. Originellement destiné à l'exploitation française, le contretype contient des intertitres français, et des annotations de teintes. Cette dernière particularité demeure surprenante car les films Essanay n'ont que très rarement été exploités en couleur sur le territoire américain. Il nous paraît dès lors plausible que la version en couleurs ait été créée spécialement pour la France.

Le contretype a été restauré numériquement par la Cinémathèque française et le San Francisco Silent Film Festival, organisation avec laquelle nous restaurons les films américains de nos collections depuis maintenant deux ans. Cette restauration est également rendue possible grâce à la généreuse contribution d'individus passionnés par Sherlock Holmes.

La première européenne du film a eu lieu à la Cinémathèque française dans le cadre du festival Toute la mémoire du monde le 28 janvier 2015. La première américaine a, quant à elle, été projetée au San Francisco Silent Film Festival en mai 2015.

Le film a été numérisé par le laboratoire L'Immagine ritrovata de Bologne et restauré par Rob Byrne (San Francisco Silent Film Festival), avec le concours de Céline Ruivo (Cinémathèque française) pour la réintroduction des teintes et l'étalonnage des couleurs. L'édition Flicker Alley comprend l'édition du film en Blu-ray et DVD, dans la version retrouvée à la Cinémathèque française (cartons en français) et dans une version en anglais à partir des intertitres traduits de la version française. Le film est présenté avec un accompagnement musical composé par Neil Brand. Parmi les nombreux bonus proposés, une présentation de la restauration par Rob Byrne et plusieurs Sherlock Holmes antérieurs à celui de Gillette, dont le tout premier, Baffled (Arthur Marvin, 1900), conservé à la Bibliothèque du Congrès de Washington. Un livret en anglais de 20 pages complète cette édition.


Céline Ruivo, ancienne directrice des collections films de la Cinémathèque française depuis 2011, a travaillé au service des restaurations des laboratoires Éclair et soutenu une thèse portant sur le procédé Technicolor trichrome. Elle dirige la commission technique de la FIAF.