« La Chanson du cœur », premier film sonore égyptien, numérisé et restauré

Hervé Pichard - 18 janvier 2015

La Chanson du cœur (Onchoudet el-Fouad), réalisé par Mario Volpe en 1932, est le premier film sonore égyptien. Il a fait l'objet cette année d'une restauration numérique réalisée par le laboratoire Vectracom. Il devait être projeté en 2012 à l'Opéra du Caire dans le cadre de l'hommage au compositeur Zakaria Ahmed, qui composa une partie de la musique du film. Cet évènement n'a finalement pas pu avoir lieu en raison des tensions politiques en Egypte. La Cinémathèque française a bénéficié de ce délai supplémentaire pour poursuivre la restauration image et son.

La Chanson du cœur avait déjà été sauvegardé en 2001 par la Cinémathèque française à partir du négatif original nitrate issu de ses collections. Considéré comme le premier film parlant et chantant égyptien, le film reste aujourd'hui incomplet et très abimé. Plusieurs extraits sonores ont disparu dont la chanson donnant son titre au film. Celle-ci a été retrouvée en 2008 sur un disque Shellac 78 tours par La Fondation pour l'Archivage et la Recherche de la Musique Arabe (AMAR). Cette version diffère de celle de la bande originale. Sa cadence a donc été légèrement modifiée afin que la voix de Nadra, actrice du film et grande figure de la chanson égyptienne, soit synchrone avec l'image.

La Chanson du cœur n'eut pas le succès attendu lors de sa sortie mais le public égyptien acclama très vite ce nouveau genre, encourageant les producteurs et cinéastes à réaliser des films chantés, puis dansés. La Chanson du cœur est le premier film à regrouper des chanteurs égyptiens reconnus comme Nadra, mais aussi Zakaria Ahmed, chanteur et compositeur égyptien (qui composa lui aussi une partie de la musique et des chansons du film) et des acteurs de théâtre prestigieux comme Georges Abiad, Dawlat Abiad et Abdel Rahman Roshdi. Les paroles des chansons furent écrites par le pœte Khalil Moutran.

Suite à cette première production sonore, plus de 225 films musicaux seront réalisés jusque dans les années 60, un genre foisonnant qui exploita de la même façon les vedettes populaires de l'époque. Nadra jouera dans de nombreux films dont son second, La Chanson de la radio (Oun choudattou a radio) du même réalisateur en 1936. Toujours dans les années 30, Oum Kalsoum et Mounira al-Mahdiya deviendront, comme Nadra, les icones féminines des films musicaux.

Ce cinéma, particulièrement riche, montré dans tous les cinémas du monde arabe, a marqué l'histoire du 7ième art. La Cinémathèque française a rendu hommage au cinéma égyptien en juin 2012, avec une rétrospective intitulée « Ciné-Égyptomania ». La restauration de cette œuvre insolite et emblématique permet de prolonger cet hommage et de partager encore notre curiosité pour les films et les musiques égyptiennes. Magda Wassef, critique et historienne du cinéma arabe, écrit à propos de ce cinéma oublié : « La nostalgie des Egyptiens à l'égard de leur cinéma en noir blanc est un véritable phénomène de société. Les plus anciens se remémorent le bon vieux temps de leur jeunesse, dans une Egypte cosmopolite, tolérante et moderne ».


Hervé Pichard est directeur des collections films à la Cinémathèque française.