L'oubli et la mémoire : sauvegarder et montrer les films de Guy Gilles

Hervé Pichard - 24 octobre 2014

La première rétrospective (quasi) complète de l’œuvre de Guy Gilles a lieu à la Cinémathèque française du 24 septembre au 5 octobre 2014. C’est l’occasion de voir tout ensemble ses longs métrages, ses documentaires et ses courts métrages souvent invisibles. Cet hommage n’aurait pas été possible sans un réel travail de recherche et de sauvegarde des films de Guy Gilles, mené par la Cinémathèque française, avec l’aide de Jean-Pierre Stora, Gaël Lépingle et avec le soutien de nombreux ayant-droits comme les Films du Jeudi, MK2, Lobster Films et Les Films 13.

Lorsqu’un cinéaste est oublié, ses films finissent par disparaître à leur tour. Comment une œuvre aussi conséquente et cohérente a-t-elle pu progressivement s’effacer, après la mort de Guy Gilles en 1996 ? Les films étaient-ils trop personnels, trop secrets, trop tristes aussi, dispersés entre cinéma et télévision ? Certains avaient cependant été défendus par une poignée d’amis fervents, de critiques et de cinéastes clairvoyants. Ceux qui les découvrent depuis quelques années, toujours partiellement et au gré de la programmation de quelques festivals, reconnaissent un geste artistique singulier, intime et fragile, à l’image de ce cinéaste mélancolique.

Guy Gilles savait raconter des histoires d’amour magnifiées par la beauté plastique de ses plans (Au pan coupé). Il savait filmer de jeunes hommes qui marchent ou errent, inconnus et silencieux, comme pour pénétrer leurs pensées (Le Partant, Le Clair de Terre). Il retenait des gestes simples et en fera même un film en soi, Chanson de gestes. Il filmait les bords de mer (L’Amour à la mer) mais avant tout Paris qui le fascinait, les errances solitaires, la nuit éclairée par les enseignes lumineuses. Il recourrait souvent à des images fixes, photos ou cartes postales qui ajoutaient au sentiment d’un temps toujours passé. Souvent aussi, il associait dans un même film plans en noir et blanc et plans en couleurs (Au pan coupé, Absences répétées). Cette manière permettait à certains de ses récits de distinguer les lieux, de décrire sans mots des états d’âme, d’aller et venir entre passé et présent.

La quasi-totalité des copies des films de Guy Gilles était devenue introuvable, impassable, abîmée. Les rares copies projetées étaient souvent rayées, virées. Afin de rendre hommage à l’esthétique du cinéaste, il était essentiel de tirer de nouvelles copies, de retrouver les films disparus et, dans un premier temps, de rechercher les négatifs originaux afin de réaliser de façon systématique deux tirages photochimiques 35 mm, l’un destiné à la conservation et l’autre à la projection. Les travaux ont été réalisés au laboratoire Éclair. L’étalonnage des premiers films a été supervisé par le chef opérateur Willy Kurant qui a travaillé avec Guy Gilles sur certaines séquences de L’Amour à la mer, offrant ainsi une ligne de conduite pour la suite.

Dans un premier temps, la Cinémathèque a tiré des copies neuves de trois longs métrages : L’Amour à la mer (1965), Au pan coupé (1967) et Le Clair de Terre (1969). Puis de plusieurs courts métrages appartenant aux Films du Jeudi : Soleil éteint, un premier film que Guy Gilles réalise à vingt ans à Alger, sa ville natale (1958), Paris un jour d’hiver (1965) et Chanson de gestes (1966).

« Mélancholia » et « Journal d’un combat » : deux films sauvés

En poursuivant ses recherches, la Cinémathèque a retrouvé deux négatifs de films considérés jusqu’alors comme perdus. Les nouveaux tirages de Mélancholia (1961) et de Journal d’un combat (1964) ont révélé deux très beaux films. Le premier en noir et blanc, un huis clos désenchanté situé dans une cour intérieure parisienne, raconte un amour désespéré, comme souvent dans les films de Guy Gilles. Le second, en couleurs, est un documentaire sur l’artiste Francis Savel. Le cinéaste filme le peintre réalisant un tableau. On découvre progressivement la toile en train de se faire et Guy Gilles, avec son art du découpage et la voix off d’Alain Delon, raconte le processus de création d’une œuvre, la solitude de l’artiste. La démarche est surprenante et mimétique car, de la même façon, Guy Gilles fait évoluer son film qui prend progressivement forme, une forme de plus en plus personnelle. Le peintre et le cinéaste occupent, chacun à sa manière et chacun de son point de vue, le même écran pour tenir un discours différent et complémentaire sur l’art.

Afin de parfaire cette rétrospective, la Cinémathèque a sollicité l’aide de MK2 qui a mis à disposition les négatifs originaux du Jardin des Tuileries (1966) et celle de Films 13 pour les négatifs de Côté cour, côté champs (1971).

Un travail au long cours s’est engagé : bien d’autres films de Guy Gilles méritent une attention semblable. Mais cette rétrospective et les copies neuves projetées pour la première fois dans les salles de la Cinémathèque française permettent déjà une découverte dans des conditions de réception renouvelées. Ces films circuleront aussi dans d’autres cinémathèques afin de redonner à Guy Gilles sa place dans l’histoire du cinéma français, à la fois enfant secret de la Nouvelle Vague et sensibilité si singulière qu’elle ne relève d’aucune école.


Hervé Pichard est directeur des collections films à la Cinémathèque française.