Don de dessins de Paul Grimault

Hervé Pichard - Françoise Lémerige - 12 décembre 2014

Le British Film Institute (BFI) a fait don à la Cinémathèque française de 35 dessins sur support celluloïd du film d'animation français Le Roi et l'oiseau de Paul Grimault. Ces dessins auraient été réalisés lors de la première production du film, alors appelé La Bergère et le ramoneur, qui débuta en 1947. Très rares et précieux, ces celluloïds sont aussi extrêmement fragiles et malheureusement en cours de dégradation. Ils font partie d'une étude en cours sur la conservation des matériaux plastiques.

Depuis août 2012, la Cinémathèque française est en contact avec Jez Stewart, spécialiste des films d'animation au sein du BFI. Ce dernier a été contacté par un donateur, Frank Drake, qui possédait depuis plusieurs années des dessins trouvés dans des poubelles de Londres représentant, entre autres, un oiseau et un jeune ramoneur… Après avoir fait des recherches, Jez Stewart a pu identifier ces dessins comme provenant du Roi et l'oiseau. Présent au symposium sur le cinéma d'animation, organisé par la FIAF l'année dernière à Pékin, il a proposé de confier ces documents, fort dégradés, à la Cinémathèque française, plus à même de sauvegarder et valoriser ce fonds. Ainsi, lors d'une rencontre amicale entre nos deux institutions, Jez Stewart, Nathalie Morris (Senior curator – Special collections) et Claire Smith (Curator – Posters and designs) nous ont remis ces dessins afin qu'ils soient conservés dans nos murs.

Les péripéties d'une production difficile

Le Roi et l'Oiseau, premier long métrage d'animation français, fait partie des quelques grands films qui ont marqué le cinéma et de nombreux dessinateurs contemporains, en particulier le cinéaste japonais Hayao Miyazaki.

Le projet débute en 1947 et aboutit après de longues difficultés artistiques, techniques, juridiques et financières à la version finale de 1980, voulue par Paul Grimault et Jacques Prévert. En 1946, après avoir terminé Le Petit soldat, les deux amis décident de poursuivre leur collaboration en adaptant le conte d'Andersen, La Bergère et le ramoneur. En désaccord avec la production, Paul Grimault et ses proches collaborateurs sont écartés du projet en 1950. Malgré tout, le film sort en salle en 1953 dans une version très éloignée des intentions de son auteur. Au milieu des années 60, Paul Grimault rachète les droits et le négatif du film avec la ferme volonté de poursuivre son projet. Il conserve de la première version, 40 minutes du film (sur les 62 minutes initiales), en utilisant les sélections trichromes d'origine. Les nouvelles images sont filmées dorénavant sur pellicule Eastmancolor. L'une des premières difficultés est d'harmoniser les deux procédés photochimiques, l'un ancien et l'autre usuel, à la faveur de l'Eastmancolor en transférant les négatifs originaux sur de nouveaux supports.

En 1967, Paul Grimault fait appel aux dessinateurs encore en activité qui étaient déjà présents à l'origine du projet, mais aussi à de jeunes artistes. Une cohabitation qu'il estime très positive. Il raconte qu'il avait imaginé une séquence animée par le dessinateur Henri Lacam : « Je connaissais son goût pour certaines choses avec un style un peu particulier. Je lui avais parlé d'une scène qui l'excitait beaucoup, celle du clown qui danse devant le roi, et cette scène là, je l'avais préparé pour lui ; j'avais pensé à lui en l'écrivant et en la mettant au point. Et Henri n'a pas pu travailler dessus parce qu'il avait disparu avant. Je n'allais pas supprimer cette scène. C'était délicat parce que j'avais tout construit autour. Alors la passer à n'importe quel gars ? Il y avait un tas de gens qui pouvait l'animer, mais pas dans le même esprit. Ils auraient fait quelque chose d'admirablement animé, de très élégant ou de drôle, mais ce n'est pas ce que je cherchais. Finalement, j'ai tenté le coup. Je l'ai passée au plus jeune qui travaillait avec nous, Alain Costa. (…) Au début, il était à la fois flatté, il avait la frousse – tu comprends :s'embarquer dans un truc après Henri Lacam, ce n'est quand même pas facile. Mais il s'en est bien tiré. » (interview de Paul Grimault dans la revue Banc-titre de mars 1980). Paul Grimault insiste souvent, dans ses entretiens, sur le choix et le rôle du dessinateur qui, en fonction de sa personnalité apporte une sensibilité particulière au personnage animé.

Aussi, tout en dessinant, les deux auteurs reprennent le scénario et apportent des améliorations en développant certaines scènes mais Jacques Prévert ne verra pas le film abouti. Il aura travaillé sur ce long projet jusqu'à sa mort en 1977.

Paul Grimault dans les collections de la Cinémathèque française

Le don du BFI contient des représentations de la plupart des personnages principaux : le roi, l'oiseau, le ramoneur, la bergère et les cinq policiers au chapeau melon, parfois dans des situations que l'on peut reconnaître dans le film, comme, par exemple, le roi sur son cheval, ou encore l'oiseau en compagnie du ramoneur et de la bergère. Ils sont peints à la gouache au verso des celluloïds (27 × 39 cm) en suivant le traçage noir qui lui se dessine au recto. Cette technique traditionnelle sur support plastique était utilisée avant le passage au numérique. Les feuilles de celluloïd étaient calées très précisément l'une après l'autre sur les feuilles de papier peintes des décors pour chaque plan. En 1950, ces planches ont été photographiées image par image sur un banc-titre avec une caméra Technicolor permettant de filmer sur des bandes monochromatiques les images trichromes, ce procédé le plus répandu permettant d'obtenir une copie couleur. La production de La Bergère et le ramoneur, en 1949, a travaillé avec le studio d'animation anglais Anson Dyer de Stroud à l'est de Londres. Elle a ainsi pu bénéficier de la proximité avec le laboratoire Technicolor installé en Angleterre ce qui expliquerait pourquoi ces dessins ont été retrouvés à Londres.

Tous les documents concernant l'histoire de ce film et de son réalisateur intéressent la Cinémathèque française et en particulier le service affiches, dessins et matériel publicitaire où sont conservés 131 dessins des films produits par Paul Grimault dont neuf concernent Le Roi et l'oiseau.

Le réalisateur a confié de son vivant ses celluloïds pour des films publicitaires et ses croquis annotés (à la manière de storyboards), concernant des courts métrages de fiction. Nous avons par exemple de très beaux dessins réalisés pour des publicités comme Lustucru, intitulée Un maître coq (1951) ou les cravates Rhodia appelée Les Beaux jours de fête (1955). Les croquis pour les courts métrages de fiction sont particulièrement précieux et touchants. Ce sont essentiellement des dessins préparatoires accompagnés de commentaires écrits du réalisateur. La Cinémathèque conserve ainsi des croquis de L'Épouvantail (1943), La Flûte magique (1946), Le Petit soldat (1947), ainsi que des dessins plus aboutis pour Les Passagers de la Grande Ourse, intitulés à l'origine Gô chez les oiseaux (1939), pour un film non réalisé Niglo Reporter (1945), ou encore pour Le Voleur de paratonnerres (1944).

Concernant Le Roi et l'oiseau, la Cinémathèque possède neuf très beaux croquis annotés, dont la plupart sont attribués à Jacques Prévert qui montre son implication et son talent de poète-dessinateur, éternel complice de Paul Grimault. Certains sont dessinés au crayon de couleur, d'autres à l'encre de chine, avec là encore quelques annotations. Ils représentent tous la scène dans laquelle le tableau s'anime dans l'appartement du roi. On trouve aussi un très beau décor de Lionel Charpy, collaborateur artistique de Paul Grimault.

La Cinémathèque française ne possédait pas de celluloïds du Roi et L'oiseau ; ce nouveau don complète donc à merveille le fonds existant. Cet enrichissement apportera des informations scientifiques sur les techniques d'animation utilisées à la fin des années 40, dernières traces artistiques d'une œuvre majeure.

Problématique spécifique de la conservation des celluloïds

Ces documents sont désormais au sein de la collection de dessins qui réunit un très bel ensemble de dessins d'animation sur celluloïd. Mais ce support pose des problématiques de conservation telles qu'aujourd'hui, seule la recherche pourrait apporter une solution.

La première problématique de conservation de ce type de document vient de la fragilité du support en acétate de cellulose dont le principal mécanisme de dégradation est l'hydrolyse plus connu sous le nom de syndrome du vinaigre en raison de l'odeur caractéristique qu'il dégage. Il présente au fil du temps différents types d'altération. Les principaux phénomènes observés sont le jaunissement, le gondolement, l'opacification et les cassures.
La seconde problématique à laquelle nous sommes confrontés, est la fragilité du tracé liée aux techniques utilisées, le plus souvent la gouache, qui n'adhère pas sur le support celluloïd.

Nous suivons depuis 2009, les préconisations de conservation conseillées pour ce type de support par les restaurateurs spécialisés :

  • Un lieu de stockage isolé du reste des collections
  • Contrôle du climat : tempéré (18°C / 50% HR)
  • Conditionnement : non abrasif, non électrostatique, protection de la lumière
  • Création de microclimat afin d'absorber les gaz polluants à l'aide de : gel de silice, charbon actif et technologie Microchamber (liant les deux procédés cités)
  • Précautions pour la manipulation

Les apports de la recherche

Face à la multiplicité des cas observés et à la variabilité des types de dégradation, la Cinémathèque française participe au travail de recherche qui a débuté en février 2013 dans le cadre d'une bourse accordée à la restauratrice en arts graphiques spécialisée dans les matériaux plastiques, Géraldine Wolff, par le Centre national des arts plastiques.

Nous avons inclus dans cette étude une sélection de documents du Roi et l'oiseau. Des analyses, réalisées sur plus de 80 échantillons, par le C2RMF (Centre de Conservation et de Recherche des Musées de France), visent à déterminer les plastifiants et adjuvants ayant servi à fabriquer le support en celluloïd, ainsi que les liants (colle, fiel de bœuf…) ayant été ajoutés aux techniques graphiques (gouache, acrylique) afin que la couleur adhère au support. Ces prélèvements (du support et de la couche picturale) et analyses (par infrarouge à l'aide d'un spectromètre et par chromatographie) vont nous aider à déterminer quels types de matériaux pourraient ralentir la dégradation du celluloïd et comprendre quand et pourquoi ce processus se met en place.

Le résultat de ces recherches pourrait être appliqué à certains éléments de ce don, dont le support celluloïd laisse apparaître des signes extrêmement avancés de dégradation. En effet, ces éléments présentent un aspect gondolé, dont les plis semblent engendrer le début d'un processus d'opacification sans doute liée à l'exsudation des plastifiants et additifs du support. A terme, ce phénomène recouvrira l'ensemble du document, le rendra cassant, le vouant à une destruction certaine. Il s'avère, paradoxalement, que la couche picturale ne présente aucun signe de décollement, ce qui est généralement le cas. Nous pouvons ainsi apprécier la finesse du trait révélant le talent du dessinateur. Par ailleurs, ces analyses pourront aussi nous permettre de dater ces documents et de confirmer qu'ils demeurent parmi les seuls rescapés de la première période du film alors intitulé La Bergère et le ramoneur.

La conservation de ces celluloïds reste un enjeu majeur car ils pourraient être un objet d'étude pour les chercheurs et les historiens du cinéma. Paul Grimault lui-même était à la recherche de ces dessins pour reprendre la réalisation de son film : « L'autre problème était de retrouver les couleurs des personnages pour le gouachage. Heureusement j'avais retrouvé deux ou trois morceaux de vieux cellulos : un avec l'oiseau, un avec le chef de la police et un avec le roi. Il en restait un autre avec le roi, mais il avait été peint à l'huile pour un essai. Tu sais ça a toujours été un problème : la gouache ne tenait pas sur les cellulos. On avait essayé plein de trucs avec du fiel de bœuf, qui ont tenu le coup à peu près, mais il suffisait d'éternuer à côté pour que la couleur parte. Donc ces cellulos peint à l'huile avaient des couleurs complètement passées. Grâce à ces vieux cellulos ont a pu reprendre les couleurs en les rajeunissant » (revue Banc-titre, mars 1980).

Ces 35 celluloïds ont été à ce jour reconditionnés dans du matériel neutre et numérisés. La numérisation est en effet le moyen le plus adapté pour montrer en l'état et valoriser sans risques ce type de support.

Hervé Pichard, Françoise Lémerige


Hervé Pichard est directeur des collections films à la Cinémathèque française.

Françoise Lémerige est chargée du traitement de la collection des dessins et des œuvres plastiques de la Cinémathèque française.