La revue « Le Film »

Sophie Hebert - 18 janvier 2018

Le Film : Hebdomadaire illustré. Cinématographe, concert, music-hall

Fondée en février 1914 par André Heuzé, par ailleurs réalisateur et scénariste chez Pathé, la revue affiche clairement ses intentions : « concurrencer les grands magazines étrangers de grand format, de tirage luxueux, abondamment illustrés que nous envoient l’Allemagne, l’Amérique et l’Italie ». La publication doit cependant s’interrompre dès l’été avec l’entrée en guerre de la France. C’est Henri Diamant-Berger, alors âgé de 21 ans, démobilisé à la suite d’une blessure, qui en reprend la direction en février 1916, avec l’ambition d’être le porte-parole du jeune cinéma français.

« Nous savons qu’il faut regrouper les jeunes pour nous débarrasser de la médiocrité qui sévit dans notre milieu. Il nous manque une tribune… je décide de fonder un journal de combat. »(1)

Il s’entoure d’une équipe de collaborateurs enthousiastes et s’engage dans un travail « d’explication du cinéma ». Il saura mettre en relation les aspirations d’une génération de jeunes intellectuels, Louis Delluc, Léon Moussinac ou Louis Aragon avec celles des jeunes cinéastes de la première avant-garde, Abel Gance, Jacques de Baroncelli, Jacques Feyder, Raymond Bernard ou Marcel L’Herbier. Parallèlement, il invite des écrivains reconnus comme Colette, Jean Cocteau, Blaise Cendrars, qui apportent à la revue une certaine légitimité. De juillet 1917 à l’automne 1918, Louis Delluc occupe le poste de rédacteur en chef. Critique théâtral à Comoedia illustré depuis 1910, auteur de plusieurs romans, il a été frappé par l’évidence plastique des films de Griffith, Ince et Chaplin et il défend un cinéma français débarrassé du théâtre et des mauvais scénarios empesés de littérature (2). Il est animé du souci constant d’éduquer ses lecteurs au langage des images, cette « photogénie » qu’il s’acharne à définir. Il donne à son ami Léon Moussinac l’opportunité de faire ses premières armes en tant que critique (3), encourage également sa muse, l’actrice Eve Francis, à écrire sur le jeu de l’acteur de cinéma et sur sa formation idéale (articles signés La Femme de nulle part). Dans le n°103 de mars 1918 parait « Charlot sentimental », le tout premier poème publié de Louis Aragon, poème dédié à la gloire de Charlot. La qualité des signatures, alliée au soin apporté à l’illustration, grands portraits photographiques, pages en couleur, dessins inédits, font le succès de la revue. Le tirage est en moyenne de mille à mille cinq- cents exemplaires, chiffre comparable au tirage des revues corporatives. Mais, pour la première fois, et c’est très nouveau, le public visé n’est pas seulement un public de professionnels de l’industrie du cinéma. La revue Le Film va jouer un rôle important dans l’acceptation du cinéma en temps qu’art par un public cultivé. Un art encore « au berceau », mais qui a déjà dépassé le simple spectacle forain.

Comme le souligne Richard Abel : « C’est le développement d’une critique cinématographique autonome qui confère au Film sa signification, une critique qui considérait que le cinéma pouvait être une forme d’art et qui commençait à tenter d’isoler ses caractéristiques afin d’analyser et d’évaluer des œuvres singulières ».(4)

Delluc quitte son poste de rédacteur en chef à l’automne 1918 pour se consacrer pleinement à la création de ses propres revues, Le Journal du ciné-club, puis Cinéa. Cependant, il livre régulièrement des articles pour Le Film jusqu’en 1919. Diamant-Berger, quitte également la revue pour tourner ses propres films, Les Trois mousquetaires, Vingt ans après…, et Georges Quellien, rédacteur en chef de la 1ère série de 1914, reprend alors le titre. Devenue mensuelle, le caractère luxueux de la revue s’amplifie, le nombre de page augmente, le numéro de Noël 1919, par exemple, contient 300 portraits. En revanche, la modernité et l’audace qui la caractérisait s’effacent un peu au profit d’un style plus classique.

1- H. Diamant-Berger / Il était une fois le cinéma. Paris, 1977
2- « Les derniers films américains contribuent de mieux en mieux, par leur irrésistible autorité, à détourner le cinéma français du théâtre qui l’a si longtemps contaminé de ses fautes et de ses traditions » (L. Delluc dans Le Film n°89, 26 nov. 1917)
3- En Alsace : Le cinéma allemand pendant la guerre (Le Film n°156, 9 mars 1919, article signé « Léon Moussinac »)
4- Richard Abel / French cinema, the first wave (1915-1929). Princeton, 1987

http://www.cineressources.net/ressource.php?collection=PERIODIQUES&pk=278.


Sophie Hebert est chargée de la collection des périodiques à la Cinémathèque française.