Dans les archives d'un directeur de la photographie : Pierre Lhomme

Marion Langlois - 18 janvier 2018

Entre 2014 et 2016, le directeur de la photographie Pierre Lhomme a confié à la Cinémathèque française une grande partie de ses archives écrites et photographiques. Après une longue période de traitement documentaire, le fonds Pierre Lhomme est désormais disponible à la consultation à la Bibliothèque du film.

Description du fonds

Diplômé en 1953 de l’école Vaugirard (aujourd’hui Ecole nationale supérieure Louis-Lumière), Pierre Lhomme a voué près de cinquante ans de carrière au travail de la lumière et du cadre. Il a collaboré avec une myriade de cinéastes, aux pratiques et styles très différents : Patrice Chéreau, Marguerite Duras, James Ivory, Eric Rohmer, Robert Bresson, Jacques Doillon, Philippe de Broca, Jean Eustache, Claude Miller et bien d’autres. Ses compétences et son talent ont été primés d’un César de la meilleure photographie à deux reprises : pour Camille Claudel de Bruno Nuytten en 1989, et pour Cyrano de Bergerac de Jean-Paul Rappeneau en 1991.

Production de cette longue et fructueuse carrière cinématographique, le fonds Pierre Lhomme est composé de 43 dossiers de photographies et 22 dossiers d’archives. Très riche de photographies de tournage, sous forme de tirages, de négatifs, de planches contacts ou de fichiers numériques, il contient également des documents techniques propres au travail de la lumière sur support argentique, tels que des courbes sensitométriques, des « lilys », des rapports laboratoire. S’y trouvent aussi certains documents de tournage : plan de travail, liste d’acteurs, de décors, feuilles de service…

Essai Huppert Pierre Lhomme

Lilys Pierre Lhomme

Pierre Lhomme Scénario Armée des ombres


Pierre Lhomme technicien : le travail de la lumière

Les photographies confiées par Pierre Lhomme rendent, avant tout, compte de son travail de technicien. Impliqué en amont du tournage, Pierre Lhomme assiste à des repérages parfois, et à des essais de lumières, de costumes ou de maquillages. Ainsi, dix-huit ans séparent les photographies d’Isabelle Huppert en préparation des tournages de Retour à la bien-aimée de Jean-François Adam en 1978 et des Palmes de M. Schutz de Claude Pinoteau en 1996. Pierre Lhomme photographie également, certainement pour mémoire, les dispositifs associés au travail de la lumière : toiles suspendues en plein air au-dessus des acteurs, installation de cubes qu’il a inventés pour diffuser la lumière ; projecteurs et réflecteurs, notamment sur les tournages de Baptême (René Féret, 1988), de Judith Therpauve (Patrice Chéreau, 1978) et de La Fille prodigue (Jacques Doillon, 1980). Certaines photographies du tournage de ce dernier film, prises par son assistant Eric Dumage, montrent le chef opérateur au travail, mesurant la lumière à l’aide de sa cellule devant Jane Birkin, ou à la caméra aux côtés du réalisateur. La richesse de ce fonds photographique provient également des très nombreuses « lilys », images de référence comportant une charte de gris servant à faciliter l’étalonnage au moment de la post-production, présentes aussi dans les scénarios annotés. Ces éléments sont aujourd’hui précieux lors de la restauration d’un film, comme celle de L’Armée des ombres, à laquelle Pierre Lhomme a participé. Les archives papier témoignent des méthodes et procédures propres au travail de la lumière et à l’utilisation de la pellicule : description des ambiances lumineuses, annotations techniques et chiffrées, tests, courbes de sensitométrie sont autant de témoins de l’évolution de la pratique argentique, sur plusieurs décennies.

Planche Contact de La Vie de château de Jean-Paul Rappeneau (1965)

 

Le plaisir de la photographie

Si Pierre Lhomme n’est pas engagé comme photographe sur le plateau, certains de ses clichés pourraient être assimilés à cette pratique, et beaucoup communiquent un réel plaisir de la photographie. Une planche-contact des essais costume de Catherine Deneuve pour La Vie de château (Jean-Paul Rappeneau, 1965) indique les photos que Pierre Lhomme a sélectionnées, parfois recadrées, pour le tirage. Dans ce fonds, la photographie est investie d’une valeur de souvenir, et se distingue souvent par sa qualité artistique. Il s’agit parfois du souvenir d’une technique, telle que l’installation de la caméra sur une balançoire pour signifier le regard subjectif de l’enfant découvrant un cadavre dans Retour à la bien-aimée (Jean-François Adam, 1978). Figurent aussi des souvenirs de l’ambiance plaisante d’un tournage, avec des clichés d’événements marquants, des portraits des différents techniciens, ou même des autoportraits : Pierre Lhomme se fait couper les cheveux sur le tournage de Dites-lui que je l’aime (Claude Miller, 1977). Il photographie Yves Robert à qui l’on vient de remettre la médaille du mérite agricole sur le tournage de La Fille prodigue. Maquilleuse, scripte et chef décorateur des Palmes de M. Schutz sont pris sur le vif, ou prennent la pose. Beaucoup de ces protagonistes ont été identifiés par le photographe, conférant au fonds une valeur documentaire fiable et précieuse.

Le fonds Pierre Lhomme apportera de la matière scientifique à tout chercheur intéressé par la prise de vue et ses techniques. Les fonds d’archives de chef opérateur conservés à la Cinémathèque française sont peu nombreux, donc estimables ; celui-ci s’inscrit en complément des fonds de Ricardo Aronovich et Henri Alekan, ainsi que des cinéastes et techniciens avec lesquels Pierre Lhomme a collaboré – notamment Claude Pinoteau, Patrice Chéreau, Philippe de Broca. Témoignage d’une pratique, mémoire photographique des tournages, il peut renseigner sur l’évolution des techniques, tout comme sur un événement anecdotique. Enfin, dans le cadre de son exercice, Pierre Lhomme a collecté et conservé des clichés de photographes amateurs ou reconnus (Françoise Aubier, Jean-François Gaté ou Léon Herschtritt), effectuant ainsi un travail documentaire de grande valeur qui enrichit encore ce fonds.


Le fonds Pierre Lhomme est consultable sur rendez-vous à l’iconothèque et à l’Espace chercheurs. Toutes les références sont disponibles dans le catalogue Cinéressources.

Pierre Lhomme a fait l’objet d’un long entretien tourné et édité par la Fémis intitulé Filmographies : Pierre Lhomme consultable à la vidéothèque (DVD 6858 à 6863).


Marion Langlois est médiathécaire à la Cinémathèque française.