Revue de presse de « Lola Montès » (Max Ophuls, 1955)

David Duez - 29 novembre 2017

Se surprenant à bailler lors de la projection, Jean de Baroncelli ouvre, le premier, les hostilités à l’encontre d’un film qui « a sombré dans la monotonie » (Le Monde). « Ébloui, captivé, fasciné, pantois d’admiration », Jacques Doniol-Valcroze en est l’ardent défenseur (France-Observateur). Dans Le Figaro, un groupe de sept réalisateurs – Jean Cocteau, Roberto Rossellini, Jacques Becker, Christian-Jaque, Jacques Tati, Pierre Kast et Alexandre Astruc – publient un manifeste : « Ce film n’est pas un divertissement. Il donne à réfléchir ».

Lola Montès (Max Ophuls)

La critique se déchire. À la suite de Baroncelli, Simone Dubreuilh signe une violente diatribe : « Lola Montès est, qu’on le veuille ou non un échec retentissant » (Libération). Claude Mauriac qui salue « le brio de [la] réalisation » (Le Figaro Littéraire) et Jacques Nobecourt ébloui (Radio-Cinéma) se joignent à Doniol-Valcroze. Partagé, le public l’est aussi : sifflets et huées se mêlent aux applaudissements. La critique s’essaye alors à comprendre les raisons de cet échec.

Distillant audace et avant-garde dans un grand film populaire, Max Ophuls déconcerte un public qui ne reconnaît pas « es pâturages coutumiers » (Claude Mauriac). Quand Simone Dubreuilh fustige l’esthétisme baroque, François Gault incrimine « une technique qui désoriente, les mouvements de caméra » (Le Coopérateur de France). Certains critiques avancent un film dépourvu de tout sex-appeal, atmosphère chère à Martine Carol. En lieu et place de Lucrèce Borgia, le public « découvre un tout autre cocktail, qui ne fait guère de place à cet érotisme, style Vie parisienne » note Gilles Martain (Rivarol). Ophuls, qui refuse de sombrer dans la facilité, teint la pin-up en brun et coupe au montage l’unique strip-tease, pourtant prévu.

D’autres, au contraire, voient dans la distribution l’un des principaux atouts du film. « Strictement contrôlée », Martine Carol devient « une grande artiste » (Jacques Nobecourt). Personnage poétique, Peter Ustinov gagne en « épaisseur romanesque » (Claude Mauriac). La distribution technique n’est pas en reste. Nobecourt salue « l’expressionnisme pictural » de Christian Matras ainsi que le « dépaysement surréaliste » de Jean d’Eaubonne. Si les détracteurs jugent sévèrement une construction en sketches, des dialogues peu compréhensibles, la direction d’acteurs les irrite. Les considérant comme de simples accessoires, Ophuls refuse à ses personnages toute psychologie. Ainsi, « les acteurs sont des objets semblables aux lustres et aux statues de plâtre qu’il affectionne tant. Il les surcharge eux aussi avec tout son goût pour le rococo germanique » (R.M. Arlaud).

Albert Caraco, le producteur, ne se soucie guère de cette nouvelle bataille d’Hernani. Pour lui, seul compte le public. Deux mois après sa sortie, Lola Montès remonté retrouve le chemin des salles, mais sans le consentement d’Ophuls. La première affaire Lola Montès prend fin. Les affres esthétiques font place à la défense, unanime cette fois, de l’artiste et de son œuvre.


David Duez est chargé de production documentaire à la Cinémathèque française.