Restaurer les films de Jacques Rozier : « Paparazzi »

Hervé Pichard - 18 mai 2020

Jacques Rozier réalise son premier court métrage (Rentrée des classes) en 1956, il y a plus de 60 ans. Il est temps aujourd'hui de restaurer les films de ce cinéaste majeur qui, en proposant une œuvre sensible et décalée, a marqué l'histoire du cinéma français et continue d'influencer de jeunes réalisateurs. En prévision de rétrospectives, la Cinémathèque française et Jacques Rozier, avec le soutien du CNC, ont débuté la restauration numérique de l'ensemble des films du cinéaste.

Deux courts métrages importants viennent d'être restaurés avec la complicité des Archives audiovisuelles de Monaco et de la Cinémathèque suisse : Paparazzi et Le Parti des choses (Bardot et Godard). Il est prévu ensuite de restaurer Blue Jeans, puis les longs métrages, en commençant par Les Naufragés de l'île de la Tortue et Adieu Philippine. Les négatifs originaux des films de Jacques Rozier, fragiles et longtemps sollicités pour tirer de nouvelles copies 35 mm, nécessitent dorénavant une attention particulière. Il s'agit de numériser ces supports pellicule fragiles et de restaurer en très haute définition l'image (numérisation 4K et restauration 2K), ainsi que le son, afin de retrouver la qualité des images, le grain de la pellicule, l'étalonnage des copies d'époque.

Projeter la copie restaurée de Paparazzi cette année, au 70e Festival de Cannes dans la section Cannes Classics, c'est rappeler l'importance du cinéma de Jacques Rozier, sa façon unique de filmer, de monter et de raconter des histoires.

« Paparazzi »

Jacques Rozier réalise Paparazzi en 1963 à Capri, en marge du tournage du film de Jean-Luc Godard Le Mépris. Il filme Brigitte Bardot (star inaccessible et sublime) et poursuit les paparazzi qui la pourchassent, prolongeant et dévoilant un jeu de cache-cache autour de Jean-Luc Godard et de ses comédiens. Il capte Michel Piccoli, Fritz Lang, Jack Palance et Giorgia Moll comme des silhouettes furtives et imposantes, filme la caméra de Raoul Coutard, les magnifiques décors rocailleux de l'île napolitaine, la maison de l'écrivain italien Curzio Malaparte, lieu de tournage significatif. Jacques Rozier montre, à travers quelques plans magnifiques, la direction d'acteur de Jean-Luc Godard, la complicité entre les deux acteurs, Brigitte Bardot et Michel Piccoli, mais, fidèle à sa manière, le réalisateur sort aussi de ce seul cadre, s'éloigne de son sujet premier pour s'intéresser aussi à trois paparazzi, équipés de leurs téléobjectifs, qui cherchent à vendre leurs clichés et gagner ainsi leur vie. C'est l'arroseur arrosé façon Rozier...

Jean-Luc Godard avait fait la connaissance de Jacques Rozier en découvrant son film Blue Jeans en 1958, cinq ans avant le tournage du Mépris. Entre temps, Rozier réalise Adieu Philippine en 1962. L'amitié entre les deux hommes et leur engagement dans la Nouvelle Vague encouragent Rozier à lui proposer de filmer le tournage de son prochain film. Le Mépris est particulièrement attendu : deux figures opposées du cinéma se rencontrent, la star incontournable du cinéma français et le jeune réalisateur de la Nouvelle Vague. Godard présente Bardot à Rozier. Ce dernier découvre les nombreux photographes qui poursuivent la star, ces « paparazzi », mot inconnu en France et inventé par Federico Fellini. Décidément, tout tourne autour du cinéma ! Il comprend qu'il tient là un sujet original, qui correspond à ses préoccupations artistiques : filmer les gens comme ils se présentent, naturellement fantaisistes... Il retrouve Godard en Italie, BB et ses paparazzi. Rozier se veut discret. Il demande cependant à Brigitte Bardot de se mettre en scène. Il fera de même avec les photographes.

Sur la base d'une reconstitution documentaire (le film commence par la rencontre à Capri de Brigitte Bardot et de Jean-Luc Godard), il propose très vite de façon très personnelle et fictionnelle, par un jeu de champs et contrechamps, une conversation entre BB et les trois photographes. Sa mise en scène et le montage particulièrement dynamique offrent un film d'une modernité toujours d'actualité. Il filme Bardot de très près et de très loin, insère des couvertures de journaux qui défilent à toute allure, les initiales « BB » occupent soudain l'entièreté de l'écran, avec un impact visuel très fort. La bande sonore entretient cette vivacité, des bruits et des mots interviennent brutalement. La musique rythme les plans du film et donne la cadence. Rozier a demandé à Antoine Duhamel de composer la musique avant le montage définitif. Ainsi, le cinéaste monte ces plans représentant les couvertures de journaux en fonction des changements de la partition.

Le rythme soutenu du film accompagne cette tension entre les paparazzi et l'équipe du tournage. Rozier s'amuse de cette situation tendue à laquelle il donne un coté burlesque et fantaisiste, un ton que l'on retrouvera dans la plupart de ses films. Il se moque des paparazzi affublés de mouchoirs sur la tête pour se protéger de la chaleur et planqués dans les recoins des falaises.

Autre aspect surprenant, au début du film : le narrateur utilise le tutoiement en s'adressant à Brigitte Bardot, évitant ainsi la première et la troisième personne et se distinguant de fait des voix off traditionnelles. Le ton est donné, avec autant d'inventivité que de liberté.

Le film est emblématique du cinéma de Jacques Rozier. Comme Renoir et Vigo, Rozier est un cinéaste libre. Il porte sans cesse un regard un peu distant et amusé sur le monde qu'il découvre. Il le traduit en images avec sa poésie et avec le soutien de personnages charismatiques ou pittoresques. Dans Paparazzi, c'est Brigitte Bardot qui rentre dans le jeu de Rozier et annonce en une filiation inattendue les personnages des films suivants, interprétés par Pierre Richard, Bernard Menez, Jacques Villeret...

Jacques Rozier à propos de « Paparazzi »

« En 1963, je produis et réalise en même temps, en marge du tournage du Mépris, deux films : Paparazzi, sur les rapports conflictuels de Brigitte Bardot avec ces photographes chasseurs d'images dont la désignation sous le terme de "paparazzi" n'est pas encore arrivée en France, et Le Parti des choses (Bardot et Godard), sur la rencontre cinématographique – inattendue à l'époque – de ces deux stars, l'une du cinéma traditionnel, l'autre de la Nouvelle Vague. Concernant Paparazzi, le terme de "making-of" est inopportun. C'est plutôt un film de fiction constitué la plupart du temps d'éléments enregistrés consciemment de part et d'autre. Ainsi le dialogue en champ-contrechamp de BB avec les trois paparazzi a-t-il été établi avec la connivence des deux parties. »


Hervé Pichard est directeur des collections films à la Cinémathèque française.